Bien vivre ensemble

C’est le titre qui a été donné à la Charte départementale par les responsables de la Chambre d’Agriculture de la Gironde, ou plutôt au projet qui va être soumis à consultation publique à partir du 30 mars, sans doute sur le site de la Préfecture. Vous pouvez le télécharger ici.

Qui a écrit la charte ?

Les responsables des professions agricoles, en concertation avec un certain nombre d’organismes dont vous trouverez les noms en dernière page de ce projet de charte.

Nos associations environnementales (Générations Futures, Sepanso, et APHG) ont participé à une réunion de concertation le 10 mars ; une première réunion avait eu lieu le 8 janvier. Nous avons constaté que le projet de charte ne comportait aucun engagement réel, seulement des incitations ou des préconisations. Nous avons notamment demandé que l’incitation à ne pas utiliser de produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) devienne un véritable engagement de tous à ne plus utiliser ces produits. Mais cette demande n’a finalement pas été retenue. APHG ne signe donc pas cette charte et nous expliquons notre position dans une lettre ouverte adressée le 26 mars aux responsables de la Chambre d’Agriculture (à télécharger ici).

Qui appliquera cette charte ?

Cette charte n’est donc signée que par les organisations professionnelles de la Gironde où la FDSEA est très majoritaire, et par l’association des maires de France (AMF 33). Lorsque la Préfète l’aura validée après consultation publique, elle s’appliquera aux seuls agriculteurs qui voudront la signer. Quel sera l’enjeu pour eux ?

S’ils signent la charte, ils auront le droit de déroger aux distances prévues par l’arrêté national du 27 décembre 2019 (voir notre page). Cet arrêté impose 10 m de ZNT (zone de non traitement ou plus précisément zone où seuls sont utilisables des produits  de  biocontrôle, ou composés de substances de base ou à faible risques) entre les habitations et leur parcelle. La signature de la charte leur permettra de pulvériser à 3 m seulement des habitations dans le cas de la viticulture. Ils seront obligés de respecter une ZNT incompressible de 20 m pour les produits très très dangereux. Tout ceci est résumé dans l’infographie du Ministère de l’agriculture ci-dessous :

Quels engagement prendront-ils en contrepartie de ce droit à déroger ?

Ils s’engagent à vérifier une fois par an leur pulvérisateur, à utiliser du matériel limitant les dérives (buses anti-dérives ou pulvérisateurs à panneaux verticaux voir article ici), à s’informer en lisant le BSV (Bulletin de Santé du Végétal), s’équiper d’un anémomètre, et à choisir les produits les moins polluants en évitant les CMR. Par ailleurs ils s’engagent, comme cela se généralise dans plusieurs vignobles du département, à informer les riverains le souhaitant 8 heures avant les traitements (SMS, mails…).

Travaux pratiques

Vous êtes riverain d’une parcelle de vigne et vous voyez un viticulteur traiter à 3 m de chez vous. Vous pouvez légitimement vous interroger : est-il signataire de la charte ou pas (même s’il vous a envoyé un SMS la veille pour prévenir du traitement) ? Difficile, si vous n’êtes pas de la partie, de vous assurer que les buses de son pulvérisateur limitent bien la dérive, qu’elles ont été révisées depuis moins d’un an, et que ce qui est épandu n’est pas un produit hautement toxique impliquant une ZNT de 20 m.

Vous allez peut-être chercher à savoir si ce viticulteur est enregistré comme signataire de la charte soit en allant à la mairie, soit en allant sur le site de la préfecture. Vous ne le saurez pas, parce que la signature par chaque agriculteur de la charte n’est enregistrée nulle part. L’agriculteur signe avec lui-même. La seule chose que vous pourrez faire, c’est lui demander s’il est signataire de la charte, et s’il le veut bien, il vous montrera l’exemplaire qu’il a signé qu’il doit avoir sur lui.

Mais vous ne connaîtrez toujours pas la dangerosité du produit qu’il pulvérise parce que rien n’oblige le viticulteur à vous le dire.

Imaginez qu’en 2018, lorsque le ministère des transports a décidé de limiter la vitesse à 80 km/h sur les routes, il ait ajouté une possibilité de déroger à la règle en autorisant à rouler à 110 km/h ceux qui possèdent un véhicule neuf, dont les freins ont été révisés dans les trois derniers mois, et qui lisent régulièrement les infos de la prévention routière. Vous auriez sans doute cru à un canular. Pourtant la situation est très ressemblante, avec une différence de taille cependant. Dans le cas de la circulation routière, il y a des gendarmes qui exercent un contrôle alors que dans le cas des chartes, il semble bien que les contrôles seront tout à fait marginaux, faute de contrôleurs.

Conclusion

Nous l’avons dit à nos partenaires lors de la réunion du 10 mars, nous avons le sentiment que les organisations agricoles départementales (hormis celles de l’agriculture bio) ont le pied sur le frein, alors que l’urgence économique, sociale, sanitaire, écologique est d’amorcer un rapide changement de pratiques. Force est de constater qu’il y a davantage de volonté de changement sur le terrain et les viticulteurs que nous avons rencontrés lors de nos Etats Généraux de Blaye, les caves qui se sont déjà engagées dans la suppression des CMR, les collectivités locales qui s’impliquent dans les programmes de réduction des pesticides, sont moins frileux que les responsables de la FDSEA, de la FGVB, du CIVB et des différents organismes des vins de Bordeaux..

Aujourd’hui un autre risque nous menace tous avec un virus pouvant entraîner une mort nettement plus rapide que celle provoquée par les pesticides de synthèse. La diffusion de ce virus est d’ailleurs liée à d’autres bouleversements écologiques (voir cet article du site Actu-environnement). La France entière est confinée et inquiète, mais – point positif – la diminution de la pollution de l’air est sensible en ce début de printemps. Nous allons pourtant devoir dans quelques semaines affronter la saison des traitements et déjà, les désherbages chimiques ont commencé. La charte qui est en cours de validation pourra s’appliquer par anticipation sous réserve de respect des conditions décrites ci-dessus. Autrement dit la distance de 3m va devenir la règle sans qu’aucun contrôle ou presque ne soit exercé. Il y a de forts risques que les problèmes de voisinage soient exacerbés et que le bien vivre ensemble ne soit pas pour tout de suite.

26 mars 2020 : la saison des vignes bicolores a repris en Haute-Gironde.