Charte des riverains

Le 8 janvier les associations de riverains seront reçues à la Chambre d’Agriculture pour débattre de la fameuse charte départementale qui doit être validée par la Préfète d’ici la fin du premier trimestre 2020. La loi Egalim votée en octobre 2018 a confié l’écriture de ces chartes aux usagers des pesticides (c’est à dire aux organismes représentant les agriculteurs) en leur donnant aussi la mission de consulter nos associations et d’organiser le débat public. Le climat délétère insufflé depuis plusieurs mois dans le pays par la principale organisation professionnelle du monde agricole (la FNSEA) n’est pas véritablement propice à un débat serein. En dénonçant un pseudo “agribashing” et en demandant aux pouvoirs publics de criminaliser les militants qui, comme nous, critiquent le modèle agricole défendu par cette organisation, un pas de plus a été franchi. La Préfète de Gironde a relayé cette démarche attentatoire à la liberté d’expression (voir notre article) et nous dénonçons avec de nombreuses autres associations l’amalgame qu’elle se permet de faire entre des actes délictueux comme des vols ou des agressions, et notre critique “des produits autorisés” que sont les pesticides de synthèse.

Marché de Blaye, samedi 4 janvier : Coquelicots et APHG font signer les pétitions pour l’arrêt des pesticides de synthèse et l’interdiction de ceux-ci autour des établissements sensibles

En Gironde

Nous savons que dans notre département comme dans de nombreux autres, le syndicat majoritaire (FDSEA) a écrit lui-même un texte mais il n’a pas jugé utile de nous le transmettre avant la réunion du 8 janvier. Curieuse façon d’aborder la concertation. Il se permet en outre, dans la lettre d’invitation, d’exiger des associations qu’elles viennent avec une proposition “concertée”, alors même qu’elles ignorent la liste des invités. Nous refusons le piège qui consisterait à affronter deux textes de charte pour qu’à l’arrivée, sans possibilité de négociation, ce soit le texte des professionnels qui l’emporte. Si nous ne nous faisons pas d’illusion sur la bonne volonté de la puissance invitante, nous nous battrons pied à pied pour que des mesures concrètes soient enfin prises pour la protection des riverains qui constituent, en Gironde, une proportion énorme de la population.

Notre association réfléchit depuis sa naissance, juste après l’affaire de Villeneuve de Blaye, à la façon de mieux protéger les habitants proches des parcelles de vigne, et notamment les personnes les plus fragiles que sont les enfants ou les jeunes mamans, des pesticides utilisés en agriculture dite conventionnelle.

Voilà pourquoi nous avons été à l’initiative, en 2018, d’un regroupement d’une dizaine d’organisations afin de faire entendre à la Préfecture de la Gironde la nécessité de prendre des mesures plus protectrices que celles prévues par l’arrêté de 2016 (voir rubrique textes-loi-arrêtés). Fédération de parents d’élève (FCPE), syndicats de personnels de l’éducation (FSU, UNSA, CGT Éduc’Action) ), association de médecins (AMLP), associations environnementales (AAT, CIMP, GF, CLAP, APHG) et syndicat agricole (Confédération paysanne) : 11 organisations qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble, se sont retrouvées pour porter ces exigences. C’est dire si le malaise et l’inquiétude sont importants dans notre région (voir le compte-rendu de la délégation).

Nous refusons, avec les autres associations, d’ergoter sur des distances ridicules de 5 ou 10 m de non traitement comme le prévoit le nouvel arrêté interministériel. Pour nous le problème n’est pas l’agriculture et nous ne réclamons pas des zones de non agriculture. Ce qui importe c’est la nature des produits utilisés et donc le type d’agriculture. Tant que ce point n’est pas à l’ordre du jour des discussions, celles-ci nous semblent vaines.

Nos propositions

PROPOSITION 1

Ensemble, nous avons demandé la création non pas de ZNT mais de zones larges (200 m) où les produits les plus dangereux (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, perturbateurs endocriniens, SDHi) seraient interdits et où seuls les produits agréés en bio seraient autorisés autour des établissements sensibles. La DRAAF en a dénombré 160 sur le département (écoles, crèches, EPADH, centres aérés, établissement de santé…) localisés sur 130 communes.

Pourquoi 200 m ? Effectivement, aucune étude scientifique ne permet d’affirmer qu’il n’y a plus de vapeurs de pesticides à cette distance (c’est plutôt le contraire) mais d’une part leur concentration a fortement diminué et d’autre part une telle distance est suffisamment grande pour inciter l’agriculteur à convertir toute sa parcelle à l’agriculture bio. Celle-ci lui apportera une meilleure rémunération de son travail, la fierté de produire des aliments sains, de ne pas nuire à la biodiversité. Cela lui évitera en outre de prendre des risques pour sa propre santé et celle de ses proches. Enfin l’idée d’une zone de 200 m avait été celle de S. Royal, ministre de l’écologie, et S. LeFoll, ministre de l’agriculture, juste après l’incident de Villeneuve en mai 2014. La proposition, qu’ils ont défendu avec conviction jusqu’en juin, n’a pas survécu, malheureusement, à l’été qui a suivi.

Un premier pas réaliste pourrait être l’interdiction des produits CMR (les CMR 1 sont déjà interdits, mais les CMR 2 ne le seront pas avant 2022). En Gironde, les caves de Rauzan et Tutiac ont déjà aboli ces produits. Voilà une mesure simple et pertinente car elle concerne des produits dangereux, qui pourrait être étendue à tout le vignoble bordelais et lui ferait une belle publicité, en ces temps de mévente.

PROPOSITION 2

Nous avons aussi essayé de tirer la leçon des incidents de Villeneuve : les viticulteurs traitaient un jour où la vitesse du vent était semble-t-il supérieure à 19 km/h, limite imposée par la loi. Les témoignages des instituteurs et des enfants ont révélé que les vapeurs de pesticides ont pénétré les salles de classe dont les fenêtres étaient ouvertes. Mais les viticulteurs ont contesté ce fait y compris devant la justice. Or il est très simple d’installer des manches à air dans toutes les communes rurales afin que la vitesse du vent soit visible par tous. Nous avons demandé au Préfet d’envisager cette mesure très facile (et peu onéreuse). Nous savons qu’elle est déjà en application dans les pommeraies du Limousin et fonctionne.

PROPOSITION 3

En Haute-Gironde et sans doute ailleurs, bon nombre des problèmes de voisinage entre les agriculteurs et les riverains sont liés à l’inquiétude que suscitent les traitements. Des questions reviennent systématiquement dans les réunions que nous organisons et notre association a décidé de les porter. Quand aura lieu le prochain traitement ? Quel est le produit pulvérisé, son niveau de dangerosité ? Quelles sont les parcelles traitées ? A ces questions, des solutions ont parfois été apportées qui fonctionnent déjà dans certaines communes du département ou dans d’autres départements :

  • l’agriculteur peut prévenir par SMS ses voisins la veille d’un traitement en précisant l’heure et la nature du produit (celle-ci pourrait être indiquée en trois niveaux de dangerosité).
  • parfois des mairies acceptent d’être le relai de ces informations et les riverains peuvent aller lire l’affichage municipal.
  • une signalétique très basique peut alerter le promeneur occasionnel que la culture qu’il longe où dans laquelle son chien s’engage a été traitée : fanions de couleur aux angles de la parcelle (trois couleurs pourraient être utilisées en fonction de la dangerosité du produit) par exemple jusqu’à la fin du délai de rentrée.
  • une application pour smartphone (elle existe) peut facilement transmettre toutes ces informations pour peu que l’agriculteur l’ait renseignée et que le promeneur l’ait installée.

En finir avec le déni et le mépris

Si la chambre d’agriculture a vraiment envie de négocier et d’avancer, il y a matière parmi toutes ces propositions à trouver des terrains d’entente. Rien ne serait pire que de tout refuser en bloc et de montrer ainsi à la fois le déni des problèmes et le mépris de ceux qui les soulèvent.

Pour les habitants de Gironde qui respirent des quantités ahurissantes de vapeurs de pesticides (comme l’ont démontré les médecins de l’AMLP), qui boivent une eau de plus en plus contaminée par ces produits, qui regardent avec inquiétude leurs enfants grandir dans cet environnement, la première urgence est l’arrêt de ces pesticides de synthèse.

En attendant cet arrêt, nous devons tout mettre en place pour limiter au maximum l’exposition des populations, notamment des plus fragiles. Ce ne sont pas de vagues conseils mais des engagements précis des professionnels qui permettront d’atteindre cet objectif. La profession agricole souhaite être respectée par la population, et c’est légitime. Les riverains souhaitent que leur santé soit respectée par les pratiques agricoles. Et c’est tout aussi légitime.