Des produits autorisés

C’est un argument que nos associations entendent souvent : les produits “phytosanitaires” alias pesticides ne peuvent pas être dangereux puisqu’ils sont au-to-ri-sés. Dans notre précédent article, nous avons relaté comment la préfète de Gironde, dans un communiqué de presse (à lire ici) annonçant la création d’un “Observatoire de l’agribashing”, se justifiait de cette initiative : “La dénonciation des produits autorisés en agriculture et en particulier en viticulture par un certain nombre de collectivités ou d’associations, est considérée par beaucoup comme le point de départ des difficultés rencontrées par les agriculteurs qui cohabitent avec des zones résidentielles”.

Il nous a semblé utile d’examiner de plus près ce que signifie exactement cette autorisation dans le cas des perturbateurs endocriniens (PE).

Définition des perturbateurs encocriniens

La définition des perturbateurs endocriniens (PE) est un véritable sujet de controverse. Selon l’OMS ce sont des substances “qui altèrent les fonctions du système endocrinien et par conséquent induisent des effets nocifs sur la santé d’un individu ou de sa progéniture” (2002). Les maladies induites sont innombrables : troubles du développement des organes reproducteurs chez l’homme et la femme, stérilité, cancers hormono-dépendants, obésité, diabète, maladies neuro-dégénératives, dysfonctionnements du système immunitaire, etc…

Une grande difficulté est la mise au point de tests scientifiques permettant d’évaluer cet effet PE puisque ce dernier a pour particularité de ne pas dépendre de la quantité de façon linéaire : de très faibles doses peuvent être très nocives, ce qui confirme que ce n’est pas 10 m de distance qui règleront le problème sanitaire mais bien l’interdiction de ces molécules. De plus, pour cette catégorie de substances, la période d’exposition (vie embryonnaire, petite enfance, adolescence, grossesse) influe énormément sur la toxicité.

Dans une tribune parue à l’automne dernier sur Mediapart des médecins et spécialistes, pour certains engagés dans l’association AMLP, alertent à propos de la démarche retenue actuellement par l’U.E. et dénoncent le fait qu’elle ne respecte pas le principe de précaution pourtant rappelé par le règlement UE 1107/2009. Elle se contente d’identifier des PE avérés (très peu en fait) et d’autoriser tous les autres (les probables et les suspectés) en précisant quelques restrictions d’utilisation. Les signataires s’interrogent sur la définition retenue par l’U.E. concernant les PE (voir ici) qui tend à abandonner la notion de danger c’est à dire la capacité intrinsèque d’une substance à affecter la santé. Si les médecins tirent la sonnette d’alarme c’est que 15 molécules voient leur autorisation arriver à échéance (comme c’est le cas au bout de 10 ans) et qu’ils enjoignent les autorités à changer d’approche.

Une de couverture du rapport de PAN

Enquête de PAN

Une récente enquête parue en novembre 2019 de l’ONG Pesticide Action Network PAN (qui regroupe 600 associations sur 90 pays) vient confirmer les inquiétudes des médecins (disponible ici en anglais). Cette enquête porte sur la façon dont 33 produits PE ont été approuvés par l’agence européenne de l’alimentation (EFSA). Elle révèle que dans 31 cas, aucun test pertinent – spécifique de la perturbation endocrinienne – n’avait été demandé à l’industriel qui faisait la demande d’autorisation. Alors que des tests plus performants (les tests OCDE) sont disponibles et approuvés depuis 2012, ils n’ont jamais été demandés à l’industriel ni même les tests pour déterminer uniquement l’activité endocrinienne sauf dans 4 cas. Parmi ces 33 substances, nous choisissons d’en examiner 2 qui sont utilisées dans la région.

Tetraconazole

Le Tetraconazole se retrouve dans l’air de la Gironde et du pays de Cognac (voir enquête ATMO 2018). C’est un fongicide, anti-oïdium que l’on trouve dans les préparations commerciales Greyman (Phyteurop), Antene ou Lidal (Isagro SPA). Il a été approuvé en janvier 2010 et fait donc partie des molécules dont l’autorisation doit être renouvelée. Sa fiche ANSES l’autorise actuellement pour la vigne et les pommeraies avec un délai de rentrée de 24h. Aucune des phrases de danger recopiées ci-dessous n’évoque son activité PE :

  • H302 : Nocif en cas d’ingestion
  • H304 : Peut être mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires
  • H315 : Provoque une irritation cutanée
  • H319 : Provoque une sévère irritation des yeux
  • H336 : Peut provoquer somnolence ou des vertiges
  • H411 : Toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets à long terme

L’enquête de PAN nous apprend que plusieurs études montraient au moment de l’homologation des effets perturbateurs endocriniens. Cela a poussé les Etats membres à demander en 2010 des informations complémentaires tout en autorisant le produit (le “en même temps” est en vogue jusqu’au niveau européen). Ces études complémentaires ont été prises en compte dans le rapport de renouvellement modifié de 2017. On y apprend “qu’il ne peut pas être exclu que le tétraconazole présente un effet perturbateur endocrinien sur les mammifères, les oiseaux et les poissons”. La demande d’informations complémentaires de 2010 n’aura donc servi à rien ou plutôt à une seule chose : à prolonger de 10 ans l’autorisation de ce produit.

Methoxyfenozide

C’est une substance active que l’on retrouve dans les préparations commerciales Runner (Dow) et Bangdi (Cave des Hauts de Gironde), qui sert à lutter contre la Tordeuse de la Vigne. Sa fiche ANSES indique un délai de rentrée de 6h et les phrases de risque ne permettent pas de supposer un effet PE :

  • H411 : Toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets à long terme
  • EUH208 : Peut produire une réaction allergique
  • EUH401 : Respecter les instructions d’utilisation pour éviter les risques pour la santé humaine et l’environnement

Lors de la demande d’approbation, la majorité des experts ont convenu que davantage de données (études de niveau 2 et de niveau 3 de l’OCDE) étaient nécessaires à la lumière des effets observés sur la thyroïde. Mais la commission a ignoré l’avis de l’EFSA.

Le cercle vicieux

PAN résume ses 33 études de cas par le schéma ci-dessous que l’on peut résumer ainsi :

Pas d’effet PE spécifique observé dans les tests règlementaires de l’industrie, anciens et non-spécifiques d’une espèce animale > Les données spécifiques universitaires ou du Centre de Recherche européen sont ignorées > La commission en déduit qu’il n’y a aucune raison d’imposer des tests OCDE supplémentaires > Pour combler les lacunes, la commission demande des informations à l’industrie afin de “confirmer l’absence d’activité endocrinienne” ; l’approbation est donnée sans attendre ces informations > Dix nouvelles années d’homologation sont accordées et, dans la plupart des cas, les informations ne sont jamais fournies.

Le cercle vicieux de l’homologation des substances perturbatrices endocrinienne

Le fait d’ignorer les résultats des études académiques et de privilégier les études dites réglementaires de l’industrie est très répandu. C’est le cas bien connu du glyphosate dont la génotoxicité est établie par plus de 70% des études scientifiques, mais réfutée par 99% des études des fabricants. C’est aussi celui du chlorpyrifos dont l’EFSA propose – aujourd’hui seulement – la suspension alors que de nombreuses études montraient ses effets nocifs sur le développement du cerveau des enfants. Dans une enquête récente Le Monde a établi que les autorités ont mis près de vingt ans avant d’évaluer les données fournies par le fabricant (Dow devenu, après sa fusion avec DuPont, Corteva), des données qui, de plus, étaient fausses (voir article JdE). La Commission devrait suivre l’avis de l’EFSA en janvier 2020 mais les pressions sont grandes ! Aux Etats Unis, l’agence sanitaire EPA a annoncé dès juillet 2019 qu’elle prolongerait l’homologation de ce produit (article NYT).

Un autre PE célèbre a eu un parcours similaire. Il n’est pas utilisé comme pesticide mais comme composant des matières plastiques, les polycarbonates, et présent dans tous les biberons : c’est le bisphénol A. Jusqu’en 2004, les tests des industriels ne lui trouvaient aucun effet PE alors que 9 études académiques sur 10 le montraient. Dès 2008 il est interdit au Canada mais ce n’est qu’en 2010 qu’il sera interdit de l’utiliser dans les biberons en France, puis en 2015, dans tous les conditionnements alimentaires. Un recours déposé par le lobby du plastique devant le Conseil Constitutionnel a cependant retardé la mise en œuvre de cette loi. Après 20 ans de controverses il est classé en 2017 par l’ECHA « substance extrêmement préoccupante » en raison de ses propriétés de PE. A partir du 2 janvier 2020, un règlement européen publié le 13 décembre interdit la mise sur le marché du bisphénol A dans le papier thermique des tickets de caisse à une concentration égale ou supérieure à 0,02%.

One in, One out

Tout ceci montre une incroyable légèreté de la Commission européenne dans l’application de ses propres principes et règlements. Ces règlements eux-mêmes mériteraient davantage de précision et de restrictions. Mais cela ne semble pas du tout correspondre à l’état d’esprit de la nouvelle présidente de la Commission. Ursula Von der Leyen a présenté récemment à la presse mondiale son European Green Deal, son pacte vert pour l’Europe. Parmi les diverses sources d’inquiétude qu’il contient le principe “One in, One out” – que l’on peut traduire par mérite toute notre attention : “toute nouvelle législation européenne devra s’accompagner d’un allègement des règles existantes pour éviter les excès de bureaucratie”.

On imagine bien comment les mesures pour faire face aux urgences écologiques, les mesures de protection de la santé et de l’environnement pourraient faire les frais de ce deal.