Dicamba : la guerre de tous contre tous


Une altercation entre un céréalier qui épand des pesticides et son voisin, le 5 mars 2019 dans l’Ain, des menaces de mort contre un couple d’agriculteur dont les voisins pensent qu’ils sont en train de traiter alors qu’ils sont en train de semer en Loire-Atlantique en novembre 2018, un viticulteur menacé au fusil parce qu’il est en train de traiter contre le mildiou de nuit après la tombée du vent, dans les Bouches du Rhône en juin 2018… Les incidents inquiétants se multiplient.

Ils traduisent peut-être un dialogue de plus en plus difficile dans une société du chacun pour soi. Ils trahissent surtout une angoisse face à l’impossibilité d’échapper à ces poisons qui se diffusent dans l’atmosphère et l’eau de tous, celles de ceux qui ont choisi de les utiliser comme celles de ceux qui ont choisi de s’en passer.

Le problème est là : nous partageons tous la même atmosphère. La liberté d’utiliser des pesticides de synthèse se trouve face au même paradoxe que celle de soutenir la croissance et la consommation infinies dans un monde fini. Elle met en danger, à plus ou moins long terme, la santé de tous, humains et non-humains.

Les pesticides ne restent pas là où on les met ! (image FNE)

De plus ces conflits n’opposent pas systématiquement les agriculteurs aux riverains. Il arrive que des agriculteurs bio perdent leur certification parce que des analyses révèlent la présence de pesticides dans leur production. Pesticides qu’ils n’ont pas pulvérisés mais qui ont dérivé des propriétés voisines. Mais ces problèmes de dérives peuvent prendre une tournure encore plus dramatique …

Dicamba : la guerre des dérives

Les dérives de pulvérisation aux Etats-Unis et particulièrement en Arkansas sont en train de provoquer une véritable guerre entre professionnels depuis trois ans. Boyce UPHOLT, dans un long article de The New Republic, décrit une transformation complète des relations dans la communauté agricole. Nous traduisons et résumons cet article dans ce ce qui suit. 

Banvel est un des noms commerciaux du dicamba

Les agriculteurs sont en conflit de voisinage intense à cause du dicamba, l’herbicide de Monsanto. Celui-ci est pourtant utilisé aux E.U. depuis 1962 mais seulement pour des désherbage hors-saisons. Aujourd’hui il est associé à la culture intensive du soja OGM dont les semences résistantes au dicamba sont produites par … Monsanto. Les pulvérisations à grande échelle de ce produit volatil dérivent à un tel niveau qu’on estime à plus de 30 000 tonnes la quantité de produit qui s’échappe des champs traités et que chaque Etat enregistre des milliers de plaintes des agriculteurs voisins dont les cultures sont détruites.

Un première alerte nommée RoundUp Ready

Pourtant, on aurait pu imaginer une méfiance plus grande de la part des pouvoirs publics et de ceux qui avaient été les premières victimes du soja Roundup Ready, produit par le même Monsanto. En 1996, l’Arkansas avait vécu l’arrivée de ces nouvelles semences de soja, résistantes au fameux glyphosate, comme un miracle. Les herbes adventices pouvaient être traitées non pas une mais plusieurs fois au cours de la saison. De fait la consommation mondiale de glyphosate a alors été multipliée par 15. Il faut savoir qu’en Amérique, 94% du soja du pays est génétiquement modifié pour résister au glyphosate ou à d’autres herbicides. Les chiffres pour le maïs et le coton sont similaires. 

Mais le miracle n’a pas duré. Peu à peu, les « mauvaises herbes » sont devenues résistantes au RoundUp. En 2000, quatre ans seulement après le début de l’épandage de Roundup dans les champs, la pesse vulgaire (Hippuris vulgaris) était la première herbe commune des États-Unis à développer une résistance. Depuis lors, le nombre d’espèces résistantes a augmenté à un rythme alarmant. L’amarante de Palmer, a développé une résistance en 2005 et est rapidement devenue l’espèce de végétation la plus détestée du pays car ellegrimpe au-dessus des cultures, les privantainsi de soleil. Des études ont montré qu’une invasion d’amarante peut réduire les rendements d’un agriculteur de 79%.

Hippuris vulgaris

Un processus d’approbation douteux

2005 c’est aussi l’année où des ingénieurs agronomes ont découvert un « gène bactérien » de résistance au dicamba qui pouvait être importé dans les plantes. Le dicamba tue les plantes en imitant l’auxine, une hormone de croissance; les plantes exposées au dicamba se développent littéralement jusqu’à la mort, leurs cellules se reproduisant si rapidement qu’elles ne peuvent pas absorber suffisamment de nutriments pour se maintenir. Ainsi le dicamba est particulièrement mortel pour les plantes à feuilles larges telles que le coton et le soja (non modifié). Le dicamba est beaucoup plus volatil que le glyphosate, c’est pourquoi il était illégal de le pulvériser, une fois que les plantes ont commencé à sortir du sol. 

Pour refaire l’opération financière du RoundUp Ready, Monsanto devait franchir deux obstacles avant de commercialiser ses produits : le ministère de l’Agriculture devait approuver la vente des semences, et l’Environmental Protection Agency (EPA) devait approuver la pulvérisation de cet herbicide pendant la croissance des cultures. Le ministère de l’Agriculture a approuvé les semences de coton résistant au dicamba en janvier 2015, et Monsanto a fait un rabais sur ces semences. Très vite on a dénoncé des pulvérisations illégales de dicamba qui contaminaient les récoltes voisines. D’après les témoignages d’agriculteurs, les représentants de Monsanto les assuraient d’une approbation imminente par l’EPA …

Alors que l’EPA n’a toujours pas donné son autorisation, Monsanto a mis en vente les semences de soja résistantes au dicamba. En novembre 2016 l’EPA a finalement approuvé l’herbicide à base de dicamba de Monsanto, le XtendiMax . Monsanto a déclaré que XtendiMax était environ 90% moins susceptible de dériver que les formulations précédentes. Il n’en est rien et les conflits n’ont cessé de se multiplier.

Carte des superficies en soja impactées par le dicamba
(les surfaces sont exprimées en milliers d’acre ; 1 k = 405 ha)

Dans le Missouri par exemple, ce sont 17 000 hectares de pêches, tomates, melon charentais, pastèque, riz, coton, petits pois, cacahuète, luzerne et soja qui ont été détruits par les dérives de cet herbicide. Depuis des études indépendantes ont montré que le dicamba est très sujet à la dérive. La formulation de XtendiMax peut rester dans l’air pendant 36 heures après la pulvérisation. Monsanto a fait valoir que la plupart des dégâts causés par le dicamba sont dus aux agriculteurs qui n’ont pas appliqué correctement l’herbicide.

Pour XtendiMax, l’agence n’a examiné que les données communiquées directement par Monsanto, alors que l’entreprise était critiquée pour avoir tenté d’influencer les résultats de ses scientifiques. La société n’a pas permis, en outre, aux universités de réaliser des tests indépendants sur XtendiMax avant l’approbation par l’EPA parce que ces tests auraient pris trop de temps et auraient retardé encore plus l’approbation de l’EPA à un moment où les agriculteurs avaient besoin du produit !!! (NB : ces pratiques scandaleuses ont lieu aussi en France, voir l’article Etat des lieux d’un crime organisé de nos amis du CIMP).

La petite maison dans la prairie version trash

Une semaine avant l’autorisation du dicamba par l’EPA, fin 2016, un meurtre a secoué la communauté agricole de l’Arkansas. Celui de Mike Wallace, 55 ans, installé surplus de 2 000 ha de terres depuis 1980. En 2015, Mike Wallace avait déposé une première plainte au sujet de la dérive de dicamba de l’un de ses voisins, un agriculteur nommé D. Masters. Masters n’avait admis que partiellement son forfait

En 2016, un second conflit avec un autre voisin, Jones, s’est mal terminé. Wallace l’accusait de disperser du dicamba sur son champ et Jones n’a rien voulu admettre. Le ton est monté et Jones a vidé le chargeur de son arme sur lui. Le meurtre a ébranlé toute la communauté de l’Arkansas où ces problèmes sont maintenant récurrents. 

Les agriculteurs y contractent généralement des millions de dollars de prêts chaque année afin de couvrir leurs coûts de fonctionnement. Les pertes subies à cause des dérives de dicamba tournent vite au drame.

L’Arkansas a suspendu le dicamba en 2017. En juillet 2017, un recours collectif en justice (class-action) a été initié contre Monsanto auprès de la Cour du Missouri par des agriculteurs s’estimant victimes.

Compléments

Le dicamba fait partie des organochlorés. C’est une substance active autorisée en France dans la composition de différents herbicides ayant une AMM. Il n’a pas été classé CMR (contrairement à de nombreux autres organochlorés comme le DDT, l’aldrine ou le chlordane qui sont en outre des neurotoxiques).

C’est un méthyl-ester de l’acide 2,5-dichlorobenzoïque :

Il est nocif par ingestion (H302), il provoque des lésions oculaires (H308) et il est nocif pour les organismes aquatiques avec effets à long terme (H412).

Il est suspecté d’être tératogène c’est à dire de provoquer des malformations congénitales et de provoquer des troubles de la fertilité. Il provoque aussi des vomissements, des troubles visuels, des AVC…

Le dicamba est 75 à 400 fois plus dangereux pour les plantes hors-cible que le glyphosate désherbant commun, même à très faible dose. Des études récentes ont montré qu’il peut dériver jusqu’à 72 h après pulvérisation.

Le dicamba tue toutes les plantes, y compris les arbres comme les chênes, sauf celles qui sont modifiées génétiquement. Sa diffusion est une appropriation totale et totalitaire du vivant. En France une pétition a été lancée en 2018 en direction du Ministère de l’Agriculture qui a recueilli plus déjà plus de 330 000 signatures et n’attend que la vôtre (voir ici)

L’Union Européenne a autorisé en 2017 – au moment où toute cette affaire explose aux E.U. – l’importation de deux sojas OGM modifiés grâce à l’événement transgénique MON87708 qui les rend tolérants au dicamba.