La charte de la discorde

Comme nous nous en doutions, l’usine à gaz imaginée par le ministère de l’agriculture avec son arrêté de décembre 2019 assorti d’un décret prévoyant l’écriture de chartes au niveau de chaque département produit un imbroglio et un climat délétère. Cet arrêté, rappelons-le, a été écrit car le précédent ne protégeait pas suffisamment les riverains, selon le Conseil d’Etat qui l’a abrogé. Le ministre a donc écrit un arrêté faisant semblant d’établir des règles, et il a ensuite donné aux organismes agricoles le droit d’écrire des chartes pour déroger à ces règles. Le tour de passe-passe est osé. Neuf associations (Générations Futures, UFC-Que choisir, Collectif de Soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, France Nature Environnement, Union syndicale Solidaires, Eau et Rivières de Bretagne, AMLP, vigilance OGM, et la LPO sont requérantes) ont d’ailleurs déposé le 23 avril un double recours devant le Conseil d’Etat (voir ici)*.

Riverains inquiets

La saison des traitements a repris depuis un mois et notre association reçoit quotidiennement courriers et coups de téléphone d’habitants de toute la Gironde. Ils ont entendu parler dans les médias des ZNT, ces zones de non-traitement entre les habitations et les parcelles agricoles (voir glossaire). Ils ont souvent retenu qu’elles étaient au moins de 20m ou 10m et ils s’étonnent, depuis un mois, que les pulvérisateurs passent au ras de leur propriété, parfois même les jours de grand vent.

Lorsqu’ils peuvent avoir une discussion avec le professionnel (ce qui est bien sûr la démarche à privilégier, mais n’est pas toujours possible) ils s’entendent répondre :

  • “Je traite avec des produits de biocontrôle, j’ai le droit à zéro mètre ! ”
  • “10 m, 5m de toutes façons je n’ai de quoi me racheter un pulvé !”
  • “Si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à aller habiter en ville !”

Nous collectons ces différents témoignages venant de toute la Gironde avec leurs localisations pour la Chambre d’agriculture qui pourra ainsi vérifier à quel point cette charte ne produit pas “le dialogue apaisé” annoncé. Mais elle semble déjà au courant de la situation puisqu’elle vient d’envoyer aux viticulteurs une lettre que nous nous sommes procurée. Edifiante !

Courrier de la Chambre d’agriculture

D’emblée le courrier (reproduit ci-dessous) évoque les riverains “sensibles aux discours antiphytos”. Les riverains ne peuvent donc pas être sincèrement inquiets pour leur santé et celle de leurs proches. Non, ils sont endoctrinés par les “antiphytos” !

Nous reconnaissons bien là l’approche du CIVB, de la FGVB et de certains responsables de la Chambre. Ces organismes défendent de façon dogmatique un modèle agricole qui court pourtant à sa perte (voir la chute des ventes des vins de Bordeaux, hors vins bio) – un choix qu’aucun critère environnemental ou sanitaire ne justifie bien au contraire. Par un curieux retournement, il accusent les riverains d’avoir des a priori … c’est assez drôle.

Parmi les conseils donnés aux viticulteurs, nous saluons celui-ci : “gardez votre calme“, car nous donnons le même aux riverains. Mais comment affirmer sans plus de précaution “vous êtes dans votre bon droit” ? D’une part cela dépend si le viticulteur respecte les règlements en vigueur. D’autre part le bon droit qui consiste à appliquer des “produits autorisés” a de sérieuses limites puisque nous démontrons à longueur de colonnes que des produits sont autorisés sous la pression de lobbies (voir ici), que leurs autorisations peuvent être prolongées alors même qu’ils ont été reconnus comme trop dangereux (voir ici), et enfin que les produits ne restent pas sagement dans les parcelles agricoles mais se répandent partout dans l’air ambiant (voir là). Il est urgent que la profession viticole, première victime de ces produits, travaille AVEC les riverains pour faire avancer la règlementation en faveur de nous tous et de tout le vivant. C’était le sens de nos Etats Généraux de Blaye en février dernier.

Nous avons savouré les “éléments de langage” (EdL chez les branchés) qui sont suggérés aux agriculteurs et l’un d’eux nous fait particulièrement bondir :

je n’ai pas à préciser les produits que j’utilise, seuls les services de l’Etat sont habilités à le faire“.

Parce que justement, une bonne partie du problème est là. Un arrêté de la Cour de Justice européenne prévoit pourtant le droit pour chaque citoyen européen à l’information sur la nature des pesticides. Cet arrêté n’a malheureusement pas été traduit dans le droit français.

C’est pourtant la moindre des choses d’être informé de la dangerosité de ce qu’on nous impose de respirer lorsqu’on reçoit les dérives de pulvérisation ! Certains produits sont cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, d’autres provoquent de graves problèmes de développement des jeunes enfants (ce sont les perturbateurs endocriniens), ou pour les femmes enceintes (voir ici), d’autres enfin provoquent des maladies en bloquant la respiration des cellules humaines (ce sont les SDHi). L’air que nous respirons, faut-il le rappeler, est un bien commun et personne ne peut se l’approprier.

APHG vous informe

“Mon voisin pulvérise à 3 m, a-t-il le droit ? ” nous demande-t-on. La réponse complète est “oui … à condition que la force du vent et le niveau de précipitations le permettent, et si ce n’est pas un produit “ZNT 20 m”, et si l’autorisation (AMM) du produit n’impose pas une distance plus grande, et si le pulvérisateur est bien muni de buses anti-dérives, et si l’agriculteur “a l’intention” de signer la charte après la crise sanitaire et donc a entrepris de répondre aux autres exigences comme l’envoi de SMS, le réglage annuel de son pulvé, le suivi des informations professionnelles etc. etc”.

C’est simple, non ?

Pour expliquer tout cet imbroglio, nous offrons une nouvelle rubrique à nos lecteurs concernant ces “distances de pulvérisation” , les règlements, la question des produits et celle des types de pulvérisateurs, les recours possibles.

Nous avons aussi fait une rubrique sur ces produits de biocontrôle dont l’étiquette rassurante masque une grande diversité. Les jardiniers amateurs devraient y regarder de plus près.

Rappel

Nous organisons une consultation sur la charte départementale proposée par la Chambre d’agriculture 33. N’oubliez pas de donner votre avis !

Mise à jour du 13 mai

L’audience du Conseil d’Etat du 12 mai a permis aux associations d’obtenir le retrait des textes incitant tous les agriculteurs à réduire les distances, mais toute l’affaire n’est pas encore jugée sur le fond.