Protéger les riverains ou museler toute critique des pesticides ?

La loi Egalim adoptée en octobre 2018 a prévu l’établissement de chartes dites de “bon voisinage” entre utilisateurs des pesticides et riverains dont nous avons déjà parlé ici. Ces chartes doivent être écrites dans chaque département, sous l’égide du préfet.

Préambule

Rappelons tout d’abord la position de l’APHG sur cette affaire. Nous réclamons depuis des années, avec d’autres associations, qu’il y ait de véritables mesures de protection des riverains, notamment autour des établissements sensibles puisque l’affaire de Villeneuve-de-Blaye a révélé que l’on pouvait pulvériser (impunément jusqu’à ce jour) sur des enfants des produits susceptibles de provoquer de graves troubles de leur développement ultérieur comme le mancozèbe, le mefenoxam, ou la spiroxamine. Nous demandons notamment que les zones qui entourent ces établissements soient traitées uniquement avec des produits autorisés en “bio”.

Mais répondre à un tel problème de santé publique par une charte nous semble inadapté. Une charte n’est pas une loi ni un arrêté, on peut la contourner aisément. Et que dire si la charte est rédigée par ceux-là même qui utilisent ces produits ?! D’autant que ces chartes s’inscrivent dans un cadre réglementaire qui reste inchangé. On parle de distances de 5m, 10m, et de mesures cosmétiques alors que des produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, perturbateurs endocriniens, sdhi sont répandus dans l’atmosphère de Gironde avec des tonnages qui ne baissent pas d’un pouce depuis des années, malgré un demi-milliard d’€ engloutis dans un plan Ecophyto.

Nous le redisons haut et fort, ce sont ces produits qu’il faut abandonner car ils polluent notre air, notre eau, nos sols, ils participent à une chute épouvantable de la biodiversité (disparition de 80% des insectes en Europe sur 30 ans), et ils menacent l’avenir de nos enfants sur cette planète.

Enfin en organisant le débat entre les utilisateurs (pour l’essentiel les agriculteurs) et les riverains, on cherche à attiser une campagne déjà rondement menée par un syndicat agricole opposant les agriculteurs et le reste de la population (le fameux agribashing de la FNSEA). Cette guerre est malsaine et elle est pilotée, nous le savons (voir ici), par ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change car ils réalisent des profits juteux dans le système actuel.

Nos ennemis ne sont pas les petits paysans. Ce sont eux qui nous nourrissent et nous estimons intolérable qu’ils ne puissent pas vivre décemment de leur travail, comme c’est le cas aujourd’hui pour un grand nombre d’entre eux. Nos ennemis sont les industriels et les géants de l’agroalimentaire qui les étranglent, ceux qui fabriquent, commercialisent, et ceux qui autorisent des produits qui nous empoisonnent tous et en premier les travailleurs de la terre.

Les basses manœuvres de la Chambre d’agriculture

Nos associations ont appris courant novembre qu’une réunion de concertation autour de la charte girondine était convoquée par le président de la Chambre d’Agriculture pour le 5 décembre (reportée au 12 pour cause de grève des transports). Mais à cette réunion, aucune de nos associations n’était conviée. Seuls les syndicats agricoles et les organismes professionnels étaient de la partie.

Nos dix associations ont donc rédigé un communiqué de presse (voir ici) dénonçant ce refus d’une concertation pourtant prévue par la loi. Et pour être sûres d’être entendues, elles ont organisé un petit rassemblement à l’entrée de la Chambre d’agriculture le jeudi 12 décembre.

La banderole de l’APHG devant la Chambre d’agriculture 33

Nous avons appris ce matin-là que nos associations allait être reçues le 16 décembre (deux jours ouvrés plus tard), mais qu’une sélection avait été opérée par M. Vasseur, vice-président de la Chambre et ex-responsable du plan Ecophyto. Répondant à une journaliste de Rue89 Bordeaux, celui-ci s’est même permis d’annoncer que notre association allait représenter celles qu’il n’avait pas invitées ! La manœuvre de division était grossière.

L’APHG a immédiatement rédigé un nouveau communiqué dans lequel elle dénonce le fait que P. VASSEUR, “nous affuble par voie de presse d’un rôle qui n’a jamais été le nôtre et qui ne le sera jamais en mandatant Alerte Pesticides Haute Gironde pour représenter, contre leur volonté, l’association Alerte aux Toxiques et le Collectif Info Médoc Pesticides”.

Nous avons réclamé une nouvelle date de concertation, ouverte à toutes les organisations qui ont souhaité participer à ce travail en précisant que “le huis-clos sur un sujet qui concerne de près (à moins de 50 m) entre 30% et 70 % de la population des communes de Haute Gironde par exemple, nous apparaît comme un déni de démocratie”.

La manœuvre de division s’est donc soldée par un beau fiasco et Sud-Ouest a retracé les événements en mentionnant notre communiqué ainsi que celui de l’association Générations Futures Bordeaux qui a refusée elle aussi, tout comme la Sepanso Gironde, de participer dans ces conditions à la rencontre du 16 décembre. Ce jour-là, aucune association girondine ne s’est présentée à la Chambre d’agriculture.

Une nouvelle réunion est programmée le 8 janvier prochain, cette fois, avec tous les partenaires invités semble-t-il (nous ne disposons pas encore de la liste des organisations invitées). Les associations réclament la transmission du projet de charte qui a été présenté le 12 et qui n’est toujours pas communiqué à ce jour.

Retour sur l’agribashing

L’actualité sur les questions agricoles est très violente, nous le disions au début de cet article. La première violence est celle faite par ce système de production intensive qui méprise la nature et les hommes, qui presse ces derniers comme des citrons et les étrangle d’emprunts dans une course effrénée au rendement qui n’a aucun sens. Ceux qui signent des accords de libre-échange (CETA, Mercosur, TAFTA …) mortifères pour notre agriculture ne rendent aucun compte aux citoyens. Par contre ils ne lésinent pas sur les efforts pour que ceux-ci se trompent d’ennemis.

Ainsi en est-il de cette campagne contre un supposé agribashing qui n’existe qu’à l’état de faits divers (agressions de militants vegans nous dit-on, alors qu’ils sont très majoritairement des pacifistes, ou intrusions dans les abattoirs ce qui n’est pas exactement la même chose puisqu’il s’agit de dénoncer des pratiques illégales). Le ministre de l’Intérieur M. Castaner, a lancé le 13 décembre dernier un projet “Demeter” qui assimile tous les incidents subits par les agriculteurs – du vol de tracteur aux manifestations contre les projets de fermes-usines – à des actes délictueux.

Dessin publié sur Reporterre, article cité du 23 octobre

La campagne est reprise en Gironde par la Préfète Mme Buccio qui a mis sur pied ce jeudi 19 décembre un “Observatoire de l’agribashing”. La représentante du pouvoir public en Gironde prête donc main forte à une campagne idéologique visant à criminaliser les critiques émises par les citoyens portant sur les pratiques agricoles, et bien sûr, celles portant sur l’utilisation des pesticides. Une telle attaque envers la liberté d’expression de la part de quelqu’un dont le travail est officiellement de la défendre est à nos yeux inqualifiable. Nous ne nous laisserons pas intimider.

Extrait du communiqué de presse de la préfecture (en entier ici) :

 “Dans le bordelais, l’agribashing est également perçu comme une conséquence du «Bordeaux bashing». La dénonciation des produits autorisés en agriculture et en particulier en viticulture par un certain nombre de collectivités ou d’associations, est considérée par beaucoup comme le point de départ des difficultés rencontrées par les agriculteurs qui cohabitent avec des zones résidentielles”.

Alors bien sûr, la Préfète ne dit pas que c’est sa position, mais elle utilise ce point de vue pour justifier les décisions qui suivent parmi lesquelles le renseignement policier sur les activités des associations et l’aide au dépôt de plaintes contre elles. Signalons tout de même que le vin de Bordeaux ne nous a pas attendu pour se “basher” tout seul et les divers procès perdus pas ses dirigeants compromis dans des mélanges de cuves et autres pratiques délinquantes ruineuses pour la réputation du vignoble ont sûrement leur part de responsabilité dans la chute actuelle des ventes.

article Canard Enchaîné du 27 novembre 2019

Une autre conséquence de cette campagne orchestrée par le pouvoir, les industriels des produits phytos et la FNSEA est que les chartes départementales qui sont en cours d’élaboration énoncent plus souvent des règles pour protéger les agriculteurs des riverains (qui sont un vrai danger, comme chacun sait), que pour protéger les riverains des pesticides, comme le montre l’exemple du Maine et Loire !

De nombreux journalistes, chercheurs, militants dénoncent l’opération d’intimidation (voir cette tribune du Monde du 18 décembre ou ce papier de Fabrice Nicolino “Castaner veut fliquer les Coquelicots“). Mais c’est une situation plus générale qui fait que dans notre pays, les actes des militants écologistes sont assimilés à des actes délictueux voire terroristes pour nier la légitimité des idées qu’ils défendent. Notre réponse doit être, comme le suggère la chercheuse Vanessa Codaccioni dans son ouvrage Répression, l’Etat face aux contestations politiques de faire reconnaître les motivations profondes des personnes réprimées et donc le caractère politique (au sens noble du mot) de leur répression.

Epilogue

Le lien est tout trouvé avec le procès des 8 militants de l’association ANV-COP21 poursuivis pour avoir décroché des portraits de Macron dans des communes de la région afin de dénoncer l’inaction climatique de ce dernier (détails ici). Le verdict était rendu aujourd’hui 20 décembre et le tribunal n’a pas retenu l’état de nécessité qui avait été plaidé pendant le procès. Il a maintenu la poursuite pour “vol en réunion” de ces 8 personnes alors que la nation devrait les décorer (si les médailles servaient à mettre en valeur les combats légitimes). La décision du tribunal est donc ajournée au 14 février date à laquelle les 8 incriminés devraient remettre les portraits, ce qu’ils ne feront que si le Président de la République se décide enfin à agir pour la sauvegarde du climat et l’application des accords de Paris.

L’APHG soutient ces militants et le combat qu’ils mènent, très voisin du nôtre. Nous sommes tous décrocheurs et nous serons avec eux le 14 février !