Toute ressemblance…

Vous connaissez la formule inscrite au générique de certains films “toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite”. L’ouvrage d’Ines Léraud Algues verte l’histoire interdite, paru chez Delcourt début 2020 ne comporte pas cette mention et pour cause. Il décrit par le menu le lobbying des organismes agro-alimentaires bretons, le soutien inconditionnel qu’ils reçoivent de certains élus, et les énormes dégâts environnementaux que tout cela entraîne. Tout ressemblance avec leurs homologues girondins ne serait pas fortuite du tout. Ce sont des clones !

Là-bas comme ici

Là-bas il s’agit d’une agriculture intensive qui pollue avec des quantités inadmissibles de nitrates et lisiers les rivières et les plages. On meurt cyanosé par le gaz H2S qui se dégage lorsque les algues vertes pourrissent. Ici il s’agit d’une agriculture intensive qui pollue avec des quantités inadmissibles de pesticides les sols, les rivières et l’air. On meurt souvent de façon plus lente de cancers, lymphomes, Parkinson. Mais ici comme en Bretagne, les stratégies du lobby agricole sont identiques : créer des groupes de pression, communiquer (c’est le terme utilisé pour signifier raconter des bobards rassurants) sur tous les fronts, faire taire les élus ou les mettre à leur botte, faire croire aux petits paysans que leur ennemi est celui qui dénonce cette agriculture mortifère alors que les grands groupes industriels qui la pilotent, avec la complicité des ministres et gouvernements depuis des années, les asservissent, les appauvrissent à tel point qu’un d’entre eux se suicide tous les deux jours.

Ce qui est frappant aussi c’est la similitude des arguments. La page 72 en expose un certain nombre qui ont souvent une version girondine :

  • les scientifiques qui alertent confondent leur travail avec un engagement militant.
  • on n’a pas de preuve que les produits soient nocifs. Toutes nos activités sont autorisées.
  • Aucun lien n’a été établi entre les activités agricoles et les décès sur la plage/les maladies des riverains.
  • en fait ce sont les particuliers qui polluent plus que les agriculteurs avec leurs lessives (algues vertes)/ leurs produits domestiques (pesticides).
  • Nous avons enrichi la Bretagne/la Gironde, nous sommes les premiers défenseurs de l’environnement.
  • On veut se débarrasser de l’agriculture en l’accusant de pollution et on oublie que c’est nous qui nourrissons tout le monde.
  • Les associations écologistes ne vivent que pour eux-mêmes et veulent casser l’activité économique de la région.
  • Les agriculteurs sont exaspérés par les khmers verts

Ce dernier terme de “khmers verts” est donc employé au delà du CIVB bordelais. Autre ressemblance frappante, c’est entre la DDASS d’hier et l’ARS d’aujourd’hui :

Quand au rôle des élus, il est illustré par un dénommé Jean Yves Le Drian, actuel ministre des affaires étrangères et actif défenseur du productivisme agricole. Lorsqu’il était président de la Région, Le Drian avait nommé comme vice-président à l’agriculture Olivier Allain, ancien éleveur bovin et président de la FDSEA 22, que l’on voit fulminer ci-dessous avec des accents de Bernard Farges :

Bref, la BD d’Ines Léraud n’épargne personne mais rien n’est fait à la légère : tous les éléments de son enquête son référencés en fin d’ouvrage. Elle se doutait qu’elle serait attendue au tournant et elle avait bien raison. Elle est même poursuivie aujourd’hui de diverses façons. Des pressions sur ses éditeurs, par exemple sur celui qui devait publier son ouvrage en breton et a fini par renoncer, des pressions sur les médias pour qu’ils ne relayent pas ses articles, et un procès en bonne et due forme pour diffamation que lui intente un chef d’entreprise guingampais, Jean Chéritel, patron du groupe Chéritel Trégor Légumes, dont elle a épinglé les pratiques managériales et commerciales dans un article publié par Bastamag.

Omerta

L’omerta politico-médiatique bretonne n’a rien à envier à l’omerta viticolo-girondine. Ce qui est différent peut-être, c’est la réponse solidaire que les journalistes bretons spécialisés sur les questions alimentaires ont décidé de faire (voir cet autre article de Bastamag). Quoiqu’il s’en trouve aussi quelques courageux en Gironde, souvent des femmes d’ailleurs.

Dans une lettre collective adressée au président de région Loïg Chesnais-Girard qui a remplacé Le Drian, 250 journalistes bretons demandent à leur Région de garantir la liberté de la presse, et d’agir pour qu’il soit mis un terme aux pressions en tout genre (poursuites, mises au placard…) dont ils sont l’objet. Car ces poursuites judiciaires, outre qu’elles sont épuisantes, laissent toujours des traces même lorsque les accusés en sortent victorieux comme c’est (heureusement) souvent le cas.

Jean-Yves Le Drian a largement utilisé cet effet-là en son temps puisqu’il a menacé France Nature Environnement d’une poursuite alors que cette association avait décidé d’une campagne d’affiche à la veille du salon d’agriculture 2011. La campagne portait sur trois fléaux majeurs que sont les importations d’OGM, les nitrates issus des élevages industriels et les pesticides (voir ici). Une plainte en référé des éleveurs bovins et des éleveurs de porc a suspendu l’affichage dans le métro parisien. Et Le Drian a retiré sa plainte ensuite car il savait qu’elle n’aboutirait pas. Mais le mal était fait.

Même en pleine crise sanitaire

Cette pression des organisations agro-alimentaires s’est poursuivie à tous les échelons pendant la pandémie du coronavirus et le confinement. A tel point que plusieurs associations ont lancé un appel commun (voir ici), pour dénoncer les attaques de ces lobbies contre des avancées environnementales :

  • Le 7 avril dernier, la Copa-Cogeca (lobby européen auquel appartient la FNSEA) a, par exemple, demandé à la Commission européenne de reporter la stratégie “de la Fourche à la fourchette”.
  • Le 22 avril, les fédérations agricoles bretonnes ont demandé au Président de la République de “libérer la compétitivité française” des “contraintes de la surrèglementation qui asphyxient la production”.
  • En parallèle, des syndicats agricoles ont déposé, en pleine crise et sans concertations réelles, des chartes leur permettant de réduire de moitié (voire plus en viticulture) les distances nationales minimales entre les zones d’épandage de pesticides et les habitations.
  • Le 6 mai les coopératives agricoles françaises demandaient sans scrupule le report d’une des mesures centrales du quinquennat sur les pesticides à savoir la séparation de la vente et du conseil (une mesure qui aurait dû être appliquée depuis bien longtemps déjà).

Le monde agricole d’après sera-t-il pire que celui d’avant ? Pourtant tous les signaux sont au rouge sur le plan environnemental. Les dégâts de l’agriculture intensive sur les écosystèmes ne sont plus à démontrer. La nécessité d’une agriculture saine de proximité a été ressentie par tous les français. En Nord-Gironde, les producteurs locaux que nous avons signalés sur cette page ont été pris d’assaut. Nous devons tout faire pour que ce mouvement se prolonge et s’amplifie.

L’année qui vient est une année de renégociation de la PAC (politique agricole commune) pour la période 2021-2027. Il est indispensable que toutes nos associations, nos mouvements, nos élus, pèsent dans le bon sens pour que le choix de l’agriculture biologique soit soutenue à fond. Ce n’est pas la peine de parler de Green Deal si les aides agricoles continuent de soutenir les grosses propriétés plus que les petites et les pratiques agricoles utilisant des pesticides de synthèse plus que les pratiques respectueuses de l’environnement.