Des pesticides aussi sages que le nuage de Tchernobyl

C’est bien connu, les vapeurs de pesticides sont aussi sages que le nuage de Tchernobyl : elles restent exactement au-dessus de leur lieu de production, respectent les clôtures et les frontières, et ne s’attaquent qu’aux personnes munies des équipements de sécurité ad hoc.

Malheureusement, l’enquête réalisée par l’agence ATMO-Nouvelle Aquitaine pourrait tempérer notre enthousiasme. Avec difficulté, la nouvelle agence « grande région » a reproduit en Nouvelle Aquitaine ce qui se faisait en Poitou-Charentes : installer des capteurs permanents pour mesurer les taux de pesticides dans l’air de différents sites, dont deux en Gironde ce qui semble justifié au regard du record des ventes de substances actives : 2800 tonnes en 2016 (et 3154 en 2017), ce qui est 10 fois plus que les trois départements du Limousin réunis.

Ces capteurs ont été installés dans des endroits stratégiques et trois d’entre eux nous intéressent parce qu’ils sont liés à la viticulture : St Estèphe dans le Médoc, le Jardin Botanique à Bordeaux et un autre dans une petite ville du Cognacais (un autre à Poitiers et un autre à Limoges).

Les capteurs ne mesurent pas en permanence mais sur des périodes de 7 jours, et celui de St Estèphe n’était pas en fonctionnement en mars-avril-mai, ce qui fera bien sourire ceux qui connaissent l’état d’asphyxie dans le Médoc au printemps.

Les capteurs ne mesurent que ce que l’on cherche, en l’occurence 66 pesticides : 16 fongicides (en orange), 14 herbicides (en vert), 6 insecticides (en bleu) et 1 corvicide (en violet). 

Les résultats sont exprimés en nanogrammes (milliardièmes de gramme) par normo-mètre-cube (un mère cube d’air pris dans les conditions normales de températures et de pression).

Que ce soit en cumuls hebdomadaires ou en nombre de molécules détectées, un premier coup d’œil nous permet de constater que St Estèphe est sur le podium. On voit aussi que parmi les trois villes, c’est Bordeaux qui remporte le pompon. Même à une vingtaine de km des portes du Médoc, ça craint !

Résultats globaux 

La comparaison entre ce qui est mesuré près des sites viticoles (St Estèphe, Cognac) avec ce qui est mesuré à Bordeaux-Centre donne une indication des dérives d’autant que les pesticides sont interdits d’utilisation par les collectivités territoriales depuis le 1er janvier 2017. Ce qui arrive sur Bordeaux ne peut venir que de l’Océan, ou du Médoc.

Le décalage dans le temps entre ce qui est mesuré près des vignes et ce qui est mesuré en ville montre qu’il y a plusieurs types de contamination de l’atmosphère : 

  • la dérive au moment de l’application, c’est à dire qu’une partie de la pulvérisation n’atteint pas le sol ou la culture et elle est mise en suspension par le vent et les courants d’air. 
  • la volatilisation post-application à partir des sols ou de la végétation traitée ; elle semble, pour certaines molécules, être plus importante que la dérive.
  • l’érosion par le vent de ce qui était adsorbé dans les poussières de sols traités.

On voit sur les deux graphes ci-dessous comment les concentrations suivent le calendrier des traitements, avec un décalage dans le temps pour Bordeaux par rapport au Médoc (attention, les échelles verticales ne sont pas les mêmes).

Question 1 : l’arrêté préfectoral de 2016 prévoit un délai de 20 minutes avant les cours et une distance de 5 m (si le pulvérisateur a des buses “anti-dérive”) entre la vigne et les écoles : où est la protection de nos enfants ?

Question 2 : les marchands de machines agricoles vendent (cher) aux viticulteurs des systèmes à buses « anti-dérive ». En quoi celles-ci empêchent la volatilisation post application et celle due à l’érosion ?

Pesticides interdits

Dans les analyses, on a retrouvé des pesticides interdits, certes en faible concentration mais détectables tout de même.

Celui que l’on retrouve partout est le Lindane, interdit depuis 1998, et sur le site du Médoc c’est le Terbuthylazine, interdit sur la vigne depuis 2004 (mais encore autorisé par l’UE) !

On ne peut pas exclure des utilisations frauduleuses mais, plus certainement, c’est la persistance de ces molécules très dangereuses dans notre environnement des années plus tard qui est en cause.

Chaque année, l’ANSES et l’EFSA interdisent des molécules précédemment autorisées. Le produit qui est autorisé cette année sera donc peut être déclaré trop dangereux l’an prochain ! Quand on sait que ces autorisations de mises sur le marché s’appuient sur tests de toxicité faits par les fabricants de produits eux-mêmes, il y a de quoi avoir peur.

Il faut interdire les pesticides de synthèse au plus vite, avant d’avoir détruit notre environnement de façon irréversible.

Fongicides

L’étude examine en détail les concentrations des différents types de molécules. Nous nous concentrons sur les fongicides très utilisés dans la région.
Le Folpel est un produit CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) que l’on retrouve dans la composition des vins (voir nos analyses ici ou ), portant la redoutable phrase de risque H351 : susceptible de provoquer le cancer. Son utilisation nécessite un délai de rentrée de 48 heures (tout comme le Cymoxanil).

Le Pyriméthanil semble un peu moins toxique et porte la phrase de risque H411 : toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets à long terme, idem pour le Tétraconazole qui porte la phrase H304 : peut être mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires.

Enfin on trouve le Boscalid, un anti-botrytique appartenant à la catégorie des fongicides SDHi dont parlons ici (délai de rentrée 48 heures).

Y a t-il des valeurs limites ?

L’exposition aux pesticides par voie respiratoire est ignorée de la toxicologie réglementaire. Pourtant, sur le plan médical, la question des pesticides dans l’air est encore plus préoccupante que celle des pesticides dans l’alimentation.

Il n’existe pas de valeur toxicologique de référence (VTR air) pour les pesticides dans l’air. Or l’exposition respiratoire présente une toxicité systémique (passage sanguin direct, sans détoxication hépatique) non prise en compte dans les études toxicologiques par voie alimentaire qui bénéficient de la détoxication hépatique au premier passage. Il y a donc là un vide législatif et règlementaire tout à fait inquiétant.

Pour en savoir plus, l’enquête complète d’ATMO 2017, ou la note de synthèse.