Distances d’épandage, on en est où ?

Le feuilleton de la règlementation sur les distances d’épandage continue. L’arrêté de 2019 a été annulé par le Conseil d’Etat du 26 juillet 2021 qui a estimé que les distances d’épandage prévues devaient être augmentées pour les produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, que les mesures de protection pour les personnes travaillant à proximité étaient insuffisantes et que l’information des riverains devait être organisée en amont (voir plus de détails ici). Il a laissé 6 mois aux deux ministères (agriculture et transition écologique) pour le réécrire. La parution du nouvel arrêté est attendue pour fin décembre 2021.

Une législation abracadabrantesque

Imaginée par les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique

Les mauvaises langues – à moins que ce ne soit les complotistes – disent que l’auteur de cet imbroglio est plus sûrement la FNSEA qui sert de ministre d’agriculture à la France depuis des décennies, en dehors de tout contrôle démocratique. Un ministre de l’agriculture confiait d’ailleurs à Libération du 9/02/04 «Lorsqu’on est ministre de l’Agriculture, on est forcément ministre de la FNSEA ». L’inverse est vrai aussi.

Un arrêté a été promulgué en décembre 2019, définissant des zones de non traitement (ZNT) entre les habitations et les parcelles traitées (voir infographie ci-dessous).
En même temps, est publié un décret instaurant la possibilité de déroger aux distances fixées par l’arrêté via des Chartes départementales d’engagement (présentées dans l’encadré sur fond vert). Ces dérogations qui ne devaient s’appliquer qu’aux agriculteurs signataires des Chartes (ce qui les engageait moralement à utiliser des pulvérisateurs plus performants) se sont appliquées finalement à tout le territoire. En plein confinement, le ministre de l’époque Didier Guillaume a pris la décision de ne pas conditionner l’application des distantes réduites à une signature de la charte, signature que, de toutes façons, les pouvoirs publics ne contrôlaient même pas.

Infographie du Ministère de l’agriculture présentant les ZNT définies par l’arrêté et le décret de décembre 2019

10 mètres, ça protège vraiment notre santé ?

Lors de la consultation éclair qui a eu lieu en septembre 2019 sur ce dispositif, nous avions abondamment commenté dans un article l’avis de l’ANSES mis en ligne pour éclairer les citoyens sur les fondements scientifiques de ces distances (20 m, 10 m, 5 m).

La méthode de calcul des 10 m est présentée avec de nombreuses références bibliographiques mais elle renvoie pour l’essentiel à un guide produit par l’EFSA (l’agence européenne de sécurité de l’alimentation) qui repose ” sur des données limitées issues d’études effectuées dans les années 1980″. L’Anses reconnaissait même « qu’aucune méthodologie validée au niveau UE n’est actuellement disponible ».

En résumé : on fixe 10 m “au doigt mouillé”, et en plus on prévoit de réduire cette distance sans aucune étude des conséquences pour la santé publique ! Le tout est soumis à une consultation tellement bidon, que nous avons décidé d’organiser avec GF-Bx une contre-consultation.

Le scandale des produits 20 m

Alerte Pesticides attendait impatiemment, au début 2020, la parution de la liste des “produits 20 m”, c’est à dire les produits les plus dangereux pour lesquels aucune dérogation de distance n’est possible. Nous voulions nous assurer que la substance active qui avait été pulvérisée autour de l’école de Villeneuve de Blaye par la viticultrice en conventionnel – le mancozèbe – s’y trouvait, car il s’agit d’un redoutable produit reprotoxique de niveau 1 (R1B), un des derniers encore autorisé. (Voir notre enquête sur les produits 20 m).

Nous avons découvert qu’il ne s’y trouvait pas, alors qu’il représentait à lui tout seul 82% des quantités de CMR1 épandues chaque année (selon la note de suivi Ecophyto 2018-2019). Nous avons eu le fin mot de l’histoire un peu plus tard (voir notre article). Le rapport d’évaluation des risques du Mancozèbe dont disposait l’agence européenne EFSA disait bien qu’il était « présumé toxique pour la reproduction (catégorie 1B) et que les critères sont remplis pour l’identifier comme perturbateur endocrinien pour les humains ». Mais ce rapport avait été caviardé à la demande de l’UPL, le plus gros fabricant de ce produit.

Le rapport caviardé

En effet, l’EFSA adresse aux industriels ses rapports avant de les publier sur son site et UPL a déposé un recours contre cette publication. Le recours est suspensif. Il faudra attendre encore janvier 2021 pour que ce produit ne soit plus autorisé.

Les SMS aux riverains

C’était un engagement éventuel (surtout ne rien rendre obligatoire) mentionné dans les Chartes. Nos adhérents nous ont contactés pendant le premier confinement. Certains ont reçu en mars et avril, quelques SMS. Puis, plus rien.

Par ailleurs nous avons reçu de nombreux signalements d’épandages se faisant à zéro mètre des clôtures. Comme toujours nous conseillons à nos adhérents le dialogue courtois avec les agriculteurs. A chaque fois que ce dialogue a pu avoir lieu, la réponse était systématiquement la même : “je pulvérise des produits de biocontrôle”. Ces produits de biocontrôle (qui ne sont pas toujours inoffensifs, voir notre enquête ici), ne sont pas soumis à l’obligation de ZNT. Mais c’est fou quand même, cet usage généralisé de produits de biocontrôle, dans un département qui sera sûrement encore sur le podium des ventes de pesticides pour 2020 !

Aucune information sur le produit qui est pulvérisé

C’est l’autre scandale de ces dispositifs : si les distances, les types de pulvérisateurs, la vitesse du vent… sont des paramètres objectifs que l’on peut contrôler visuellement, il est impossible de savoir quelle est la nature des produits qui sont épandus !!! C’est dingue quand on y pense. Nous n’avons pas le droit de connaître la toxicité des produits qu’on nous fait respirer, si ce sont des produits cancérigènes, ou perturbateurs endocriniens, ou SDHi…

Pourtant selon la Cour de Justice Européenne, le “droit à l’information relative aux émissions dans l’environnement inclut les informations sur les pesticides, leur nature et les effets de leurs utilisations” (plus d’infos ici). Ce droit n’est jamais respecté.

Une étude scientifique qui tombe à pic

L’étude que vient de publier l’association Générations Futures tombe au bon moment. Elle montre que les distances de 20 m ou 10 m sont largement insuffisantes pour diminuer de façon significative l’exposition aux produits.

Ce n’est pas vraiment un scoop, puisque l’agence ATMO Nouvelle Aquitaine relève des taux de pesticides dans l’air du jardin botanique de Bordeaux, à 10 km à vol d’oiseau de toute parcelle agricole. Nous savons depuis longtemps que ces produits ne restent pas au dessus de la parcelle où ils sont répandus. Voilà pourquoi nous réclamons depuis des années, pour les établissements sensibles comme les écoles, une distance minimale de 150 ou 200 m.

Quelques unes de nos initiatives en ce sens : lettre au préfet de la Gironde le 1/03/18, rencontre avec le cabinet du préfet le 4/04/18 (compte-rendu ici), soutien de la proposition de loi du député Loïc Prudhomme instaurant une ZNT de 200 m autour des habitations en juin 18, lettre au préfet de la Gironde le 16/01/19, communiqué du 27/02/20, lettre à la préfète sur l’insuffisance de la charte le 12/04/20, organisation d’une contre-consultation sur la charte présentée à la presse le 2/07/21, appel à l’organisation d’un referendum local sur le sujet le 6/04/21, recours gracieux contre la décision préfectorale d’approbation de la charte etc…

Mais voilà. Didier Guillaume (voire sa biographie retracée par F. Nicolino dans CharlieHebdo) a déclaré son opposition à l’instauration des ZNT de 150 mètres autour des habitations en septembre 2019. La messe était dite.

Vite un texte national qui protège la santé de tous !

Nous voulons un véritable texte protecteur, sans dérogation possible, et qui impose des règles à partir de données scientifiques, en attendant l’interdiction totale de tous les pesticides de synthèse.

Ce texte doit être national car on comprend mal pourquoi il faudrait mieux ou moins bien protéger les riverains et les travailleurs dans un département plutôt qu’un autre. Ce que l’on risque, c’est que les baronnies locales imposent des dérogations supplémentaires.

Nous savons de quoi nous parlons en Gironde, avec un président du CIVB – Bernard Farges – qui se permet de menacer de grève du zèle la préfecture si son organisation ne peut pas “discuter du protocole et de la diffusion des résultats” de l’enquête Pestiriv à venir (voir notre article). Un comble ! Le CIVB veut contrôler les études scientifiques sur l’exposition aux pesticides.

Une prise de position plus intéressante est celle de Jérôme Bauer, le nouveau président du CNAOC (Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées) qui demande dans une interview à Vitisphère qu’on en finisse avec les chartes départementales. Il réclame une réglementation nationale, une suppression des ZNT pour les produits de biocontrôle et le cuivre, et demande que l’information des riverains soit systématiquement faite. Ce à quoi nous répondons :

  • ✅ Nous sommes d’accord pour un texte national et en finir avec ces chartes départementales où aucune négociation réelle n’est possible
  • ✅ Nous sommes d’accord pour supprimer les ZNT pour les produits de biocontrôle et le cuivre.
  • ✅ Nous exigeons nous aussi l’application de la règlementation européenne qui stipule que le riverain qui en fait la demande soit systématiquement averti des traitements s’il en fait la demande.
  • 🔴 Mais il faut aussi que les riverains et des travailleurs à proximité aient accès à la liste des produits épandus comme l’a exigé la Cour de Justice européenne : nous voulons savoir ce que nous respirons !!!
  • 🔴 Il faut aussi supprimer tous les CMR, les perturbateurs endocriniens et les SDHi dont les dangers ne sont plus à démontrer !

Ce mois de décembre 2021 va donc être décisif.