Nous nous sommes interrogés sur ces produits classés par le dernier arrêté de décembre comme relevant d’une ZNT incompressible de 20 mètres. Des produits bigrement dangereux donc, au point que même en ces temps de dérèglementation généralisée, il n’est pas question de les pulvériser au ras des maisons. Mais 20 m, direz-vous… Oui, vous avez raison, ce n’est en aucun cas une distance assurant une protection, surtout quand on examine cette liste fournie par le Ministère de l’Agriculture.
Mentions de danger
Les documents qui accompagnaient la parution de l’arrêté de décembre dernier étaient clairs : la distance de 20 m s’applique aux produits dont les mentions de danger (voir ici la traduction) sont les suivantes : H300, H310, H330, H331, H334, H340, H350, H350i, H360, H360F, H360D, H360FD, H360Fd, H360Df, H370, H372. Ils sont tous étiquetés avec un symbole en forme de tête de mort ou celui des produits CMR. Une phrase sibylline complète la liste en ajoutant les produits “contenant une substance active considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l’homme selon les critères européens”.
La définition européenne des perturbateurs endocriniens (PE) parue en 2017 et attendue pendant des années a été l’objet d’un intense lobbying de la part des industriels. Les critères retenus ont été assouplis alors que de nombreuses sociétés savantes (notamment celle des endocrinologues) avaient alerté les pouvoirs publics. Cette définition est donc très contestée par les médecins. Ceux de l’association AMLP estiment l’affaire suffisamment grave pour avoir ouvert récemment un blog sur le sujet avec l’association HEAL (voir ici). Ils résument ainsi leurs inquiétudes “seules quelques substances parfaitement connues pourront être qualifiées de PE, la majorité des autres ne rempliront pas tous les critères en particulier la connaissance du mécanisme causal ; et parce que la catégorie « PE suspectés » n’est pas reconnue, ils resteront hors des radars de la réglementation “.
Les associations ont mis une autre liste en ligne : celle des PE suspectés et que l’on retrouve dans les assiettes. Une liste que l’on peut télécharger ici. Elles ont aussi écrit aux trois ministres (Agriculture, Santé, Ecologie) ainsi qu’au directeur de l’ANSES pour leur demander de ne pas renouveler l’autorisation d’une douzaine de ces molécules fortement suspectées dont deux sont abondamment employées comme fongicides dans la région : Boscalid et Folpet (voir la lettre ici). Ces deux substances apparaissent dans quelques rares produits de la liste 20 m mais c’est parce qu’ils ont d’autres médailles (Bell, Mascotte et Broadway portent la mention H360Df). Ils ont comme tout les PE la particularité d’être dangereux à très faible dose. Lorsqu’ils sont très volatils comme le Boscalid (qui est aussi un SDHi), on les retrouve partout dans l’atmosphère comme c’est le cas en Gironde (voir notre article ici).
L’ARRÊTÉ PRÉVOIT 20 M INCOMPRESSIBLES POUR LES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS MAIS LEUR DEFINITION EST TELLEMENT RESTRICTIVE QUE TRÈS PEU SONT RECONNUS COMME TELS.
Mais il y a un deuxième scandale…
Les produits interdits autorisés
La liste des produits 20 m (à télécharger en haut de l’article) se décompose en deux tableaux. Celui des produits autorisés ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) en cours de validité, et celui des produits qui n’ont plus cette AMM car ils ont été jugés trop dangereux… mais qui ont un délai de grâce pouvant être reconduit d’années en années !
😱 😱😱
Oui, vous avez bien lu, des produits suffisamment dangereux pour être classés 20 m, mais qui ont échappé à l’interdiction totale par une mesure dérogatoire. Dans cette liste des produits interdits autorisés, deux fois plus longue que celle des produits autorisés, on retrouve les perturbateurs endocriniens les plus célèbres, y compris ceux reconnus comme tels dans la liste ministérielle de 2017 : epoxyconazole, flurochloridone, tebuconazole.
Exemples :
→ Broadway alias Manitoba. Contient de l’epoxyconazole (PE) et Folpel (CMR et PE).
C’est un fongicide utilisé sur le blé, l’épeautre et le triticale. Nulle part sur sa fiche ANSES il n’est pas mentionné la ZNT habitation de 20 m. Il a été prolongé jusqu’au 30/07/2020. C’est donc une année de grâce (et peut-être plus si affinité…).
Voici la classification du produit :
- C4 : Toxicité aiguë par inhalation – Catégorie 4
- C2 : Lésions oculaires graves et irritation oculaire – Catégorie 2
- C2 : Cancérogénicité – Catégorie 2
- TAC1 : Dangers pour le milieu aquatique – Danger aigu, catégorie 1
- TCC3 : Dangers pour le milieu aquatique – Danger chronique, catégorie 3
- C1B : Toxiques pour la reproduction – Catégories 1B
Mentions de danger
- H319 : Provoque une sévère irritation des yeux
- H332 : Nocif par inhalation
- H351 : Susceptible de provoquer le cancer
- H360Df : Peut nuire au foetus. Susceptible de nuire à la fertilité
- H400 : Très toxique pour les organismes aquatiques
- H412 : Nocif pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme
- EUH208 : Contient (nom de la substance sensibilisante). Peut produire une réaction allergique
- EUH401 : Respecter les instructions d’utilisation pour éviter les risques pour la santé humaine et l’environnement
→ Adexar, alias Euroxar, alias interadrex contient du fluxapyroxad (SDHi) + epoxiconazole (PE) .
- C4 : Toxicité aiguë par voie orale – Catégorie 4
- C2 : Lésions oculaires graves et irritation oculaire – Catégorie 2
- C1 : Sensibilisants cutanés – Catégorie 1
- C1SCA : Sensibilisants cutanés – Catégorie 1 sous-catégorie A
- C1SCB : Sensibilisants cutanés – Catégorie 1 sous-catégorie B
- C2 : Cancérogénicité – Catégorie 2
- TAC1 : Dangers pour le milieu aquatique – Danger aigu, catégorie 1
- TCC1 : Dangers pour le milieu aquatique – Danger chronique, catégorie 1
- C1A : Toxiques pour la reproduction – Catégories 1A
- C1B : Toxiques pour la reproduction – Catégories 1B
- DA : Mention d’avertissement : Danger
Mentions de danger
- H302 : Nocif en cas d’ingestion
- H317 : Peut provoquer une allergie cutanée
- H319 : Provoque une sévère irritation des yeux
- H351 : Susceptible de provoquer le cancer
- H360Df : Peut nuire au foetus. Susceptible de nuire à la fertilité
- H400 : Très toxique pour les organismes aquatiques
- H410 : Très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme
LA LISTE DES PRODUITS 20 M CONTIENT DES PRODUITS QUI N’ONT PLUS D’AUTORISATION VALIDE ET DEVRAIENT ÊTRE TOTALEMENT INTERDITS DE PULVÉRISATION.
Mais il y a un troisième scandale …
Les produits non mentionnés
L’un de ces produits est très célèbre en Gironde. C’est l’un des deux pesticides de synthèse qui était pulvérisés près de l’école de Villeneuve de Blaye en 2014.
Eperon pepite : contient du Mancozèbe (PE, CMR1) et du Metalaxyl. C’est un fongicide utilisé dans la vigne mais aussi sur les pommes de terre. Le Mancozèbe comme substance active a déjà bénéficié de 4 délais de grâce de la part de l’agence européenne EFSA. C’est pratiquement le seul CMR avéré (Reprotoxique niveau 1) qui reste encore en circulation (ils auraient du tous disparaître en 2019 en vertu du règlement européen de 2009). Aucune préparation contenant du Mancozebe n’est dans la liste des produits 20 m alors qu’il représente plus de 80% des quantités de substances actives CMR1 utilisées en 2018.
Mentions de danger
- H317 : Peut provoquer une allergie cutanée
- H335 : Peut irriter les voies respiratoires
- H361d : Susceptible de nuire au foetus
- H400 : Très toxique pour les organismes aquatiques
- H410 : Très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme
La fiche ANSES de l’Eperon pepite, fierté de SYNGENTA, ne mentionne aucune ZNT 20 m. Faut-il en déduire qu’il peut être pulvérisé à 10 m, distance pouvant être réduite à 3 m par les chartes, et même si les chartes ne sont pas validées (dérogation COVID) ???
UN PRODUIT PERTURBATEUR ENDOCRINIEN, CMR AVÉRÉ, DÉJÀ GRACIÉ 4 FOIS, N’EST MÊME PAS DANS LA LISTE DES PRODUITS 20 M !
Cela fait beaucoup, non ?
mis à jour le 8 mai 2020, 21h