Epandages des pesticides : l’usine à gaz explose, l’Etat est condamné

C’est un imbroglio difficile à suivre à propos des distances d’épandage des pesticides et des mesures de protection des personnes. Ce 26 juillet 2021, une décision historique du Conseil d’Etat ordonne la réécriture de l’arrêté et du décret du 27 décembre 2019. Il demande :

  • de prévoir des distances de non traitement (ZNT) plus protectrices des populations (vis à vis des produits cancérogènes suspectés notamment),
  • de protéger davantage les travailleurs travaillant à proximité des zones traitées,
  • que les chartes départementales prévoient l’information des riverains et des personnes travaillant à proximité.

Le Conseil d’Etat condamne l’Etat à dédommager les associations et personnes requérantes et donne six mois au gouvernement pour revoir sa copie.

Pulvérisation près d’habitations en Gironde (mai 2021)

Petit historique

En réponse à une requête des associations datant de 2017*, une première décision du Conseil d’Etat avait annulé l’arrêté existant et obligé le gouvernement à écrire un texte plus protecteur des populations. Le gouvernement avait alors conçu une usine à gaz :

  • un arrêté prévoyant des distances entre les habitations et les zones traitées de 20 m incompressibles pour les produits les plus dangereux (les CMR avérés) et de 10 m ou 5 m minimum pour les autres (s’appuyant en cela sur un avis de l’ANSES publié opportunément en juin 2019)
  • un décret (promulgué au même moment) indiquant que des Chartes départementales pourraient, sous certaines conditions (peu contraignantes et jamais vérifiées), permettre aux agriculteurs de déroger à la distance de 10 m (en la réduisant à 5m pour l’arboriculture, 3 m pour les vignes !).

Le gouvernement avait été contraint d’organiser une consultation publique sur ce dispositif qui avait recueilli près de 53 000 contributions (voir notre article). Il n’avait cependant pas jugé bon de publier ces contributions. Ce n’est que 10 jours après la promulgation de l’arrêté et du décret que le gouvernement en a publié juste une synthèse.

Dès la fin 2019 les Chambres d’agriculture ont pris en main l’écriture de ces chartes. En Gironde, il a fallu battre le pavé des Chartrons pour être admis à donner notre avis. Mais le texte final est celui écrit par la FNSEA et ne contient aucune avancée. Il n’a été validé par aucune association environnementale. Une consultation bidon (voir notre article) a été organisée par la Chambre d’agriculture pendant le premier confinement au printemps 2020, à tel point bidon que nous avions organisé une contre-consultation avec Générations Futures-Bordeaux qui donnaient des résultats exactement contraires (voir notre conférence de presse du 2 juillet 20 ici). Depuis, en Gironde et dans de nombreux départements, nos associations demandent aux préfets de ne pas valider ces textes qui ont provoqué de nombreux contentieux entre les habitants et les agriculteurs. C’est pour cela que nous les avions rebaptisé les chartes de la discorde.

Une décision du Conseil constitutionnel du 19 mars 2021 semblait nous donner raison. Elle reconnaissait que le processus de consultation qui avait présidé à l’élaboration des chartes ne respectait pas l’article 7 de la Charte de l’environnement adossée à la Constitution. Nous avons récemment écrit avec 12 organisations girondines à la Préfète pour lui demander d’en tenir compte et d’organiser un referendum départemental démocratique. Sans réponse.

Nous avons adressé en juin un recours gracieux à la préfecture de Gironde sur ce sujet, comme l’ont fait les associations de 45 départements recensés sur le site de FNE. Nous avons reçu la semaine dernière une réponse intransigeante de la Préfète Mme Buccio estimant qu’il n’y avait aucune raison de procéder à une nouvelle consultation sur la Charte girondine. La décision du Conseil d’Etat de ce 26 juillet balaye les affirmations péremptoires de Madame la Préfète que l’on peut lire dans la lettre ci-dessous, postée le 15 juillet.

Reponse-pref-recours-gracieux

La décision du Conseil d’Etat

Le titre communiqué de presse du Conseil d’Etat de ce lundi 26 juillet est clair “le Conseil d’État ordonne que les règles d’utilisation soient complétées pour mieux protéger la population“. On peut le lire en ligne ici. Le texte complet est téléchargeable sur note site ici.

Cette décision fait suite à pas moins de dix requêtes reçues :

  • ➡️ certaines estimant l’arrêté de 2019 trop restrictif : la Chambre d’agriculture de la Vienne, la Coordination rurale, la société Vento-Sol sise à Castres (81).
  • ➡️ certaines estimant que celui-ci n’est pas assez protecteur des populations et/ou des travailleurs : le Collectif des maires anti-pesticides, le CRIIGEN organisme de recherche indépendant, l’association Agir pour l’Environnement, un collectif regroupant les associations Générations Futures, France Nature Environnement, Alerte des médecins sur les pesticides, le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’ouest, l’UFC – Que choisir, le Collectif Vigilance OGM et pesticides 16, l’Union syndicale Solidaires, l’association Eau et rivières de Bretagne. Un autre collectif regroupant M. Daniel Ibanez, l’association Santé environnement combe de Savoie, M. Maurice Pichon et l’association Alerte aux Toxiques. Enfin les communes de Tremblay-en-France, de Compans, de Mitry-Mory et de Champigny-sur-Marne.

Distances d’épandage et information des riverains

Ce sont les requêtes du deuxième type auxquelles l’ordonnance donne raison en affirmant que les distances minimales d’épandage doivent être augmentées pour les produits qui sont suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques (CMR), que des mesures doivent être prises pour protéger les personnes travaillant à proximité et qu’une information des riverains doit être organisée en amont de l’utilisation de ces produits. Le Conseil d’État constate que l’ANSES recommande une distance minimale de 10 mètres entre les habitations et les zones d’épandage de tout produit classé cancérogène, mutagène ou toxique, sans distinguer si leurs effets sont avérés, présumés ou seulement suspectés.

❌ Rappel 1 : les distances de non-traitement de 20 m incompressibles s’appliquaient aux produits les plus dangereux, les CMR avérés. Pourtant, nous avons vu (article ici) qu’un redoutable reprotoxique avéré, le Mancozèbe utilisé abondamment en Gironde et pulvérisé sur les enfants de Villeneuve de Blaye, y a échappé. Un habile recours suspensif de la Mancozeb Task Force auprès de l’EFSA a prolongé son délai de grâce jusqu’au 31 janvier 2021 !

❌ Rappel 2 : l’information des riverains par sms est bien promise par la charte de Gironde mais elle y est facultative et n’a été appliquée que dans de rares endroits et de façon éphémère dans la plupart des cas.

❌ Rappel 3 : les 10 m de l’ANSES sont présentés comme un résultat scientifique. C’est plutôt un résultat “au doigt mouillé” obtenu en compulsant des études périmées de l’EFSA, datant des années 80, et s’appuyant sur une méthodologie déjà contestée par des scientifiques à cette époque. Les dégâts des perturbateurs endocriniens, agissant même à très faible dose, et leurs effets cocktails par exemple n’y sont pas du tout pris en compte.

Protection des travailleurs

Le Conseil d’État juge également que le “Gouvernement doit prévoir des mesures de protection pour les personnes travaillant à proximité d’une zone d’utilisation de pesticides, ce que la règlementation en vigueur ne fait pas”.

En effet, si les fiches de sécurité des produits indiquent à un travailleur agricole les délais de rentrée dans les rangs de sa parcelle et les précautions particulières à prendre pour sa propre santé, rien n’est prévu pour protéger ceux qui travaillent sur les parcelles à proximité.

Copie à revoir

Enfin le Conseil d’Etat reprend et prolonge la décision du Conseil Constitutionnel sur la non constitutionnalité des chartes. N’en déplaise à Mme la Préfète de Gironde, l’Etat qu’elle représente est à nouveau condamné et le Conseil d’État annule les conditions d’élaboration de ces chartes et de leur approbation par les préfets. Celles-ci ne pouvaient pas être définies par un décret, “mais uniquement par la loi, conformément à la décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021 du Conseil constitutionnel que le Conseil d’Etat avait saisi dans cette affaire”.

Saluons l’opiniâtreté des associations environnementales et de défense des victimes des pesticides, les maires du collectif des maires anti-pesticides qui ne se sont pas laissés impressionner par la menace d’une invalidation de leur démarche (avec une mention spéciale au maire de Bègles dans notre département). Si le droit est injuste, il faut changer le droit. Ce n’est pas en s’abritant derrière son petit doigt qu’on y arrive mais bien en menant des combats concrets comme celui-ci. D’autres problèmes restent en suspens comme celui des établissements sensibles qui ne sont toujours pas protégés, ou comme l’information sur la nature des produits pulvérisés (une femme enceinte doit être informée si le produit pulvérisé à côté de chez elle est un perturbateur endocrinien ou pas).

On le voit, la route est longue, mais aujourd’hui, l’heure est à la satisfaction.

*Eaux & Rivières de BretagneVigilance OGM et pesticides 16Soutien aux victimes des pesticidesGénérations Futures, et l’Union Syndicale Solidaire