Le procès de la HVE

Nous avons à plusieurs reprise dénoncé le label HVE et l’éco-blanchiment qu’il cache à peine, à l’instar de quelques autres labels qui fleurissent sur les bouteilles et induisent les consommateurs en erreur (voir cet article sur notre analyse du vin “nature” de Tutiac). Un procès qui se déroulait aujourd’hui à Libourne est en passe de devenir le procès de la HVE.

Lire aussi la valse des étiquettes vertes.

sur le site APHG

Il est beaucoup question de ce label ces derniers temps car il sert de fer de lance à une vaste opération d’enfumage, face aux inquiétudes grandissantes vis à vis de l’agriculture industrielle et des dégâts qu’elle engendre en matière de biodiversité. A cela s’ajoute une offensive fiscale de la FNSEA : obtenir pour les exploitations labellisées en HVE des subventions analogues à celles des exploitations en bio.

Quelques rappels techniques indispensables

Pour être labellisé HVE (niveau 3, le seul qui permet de mettre une étiquette sur son produit), il y a deux voies : l’option A qui comporte 4 critères, l’option B qui n’en a que deux dont un totalement comptable.

Option A

Les quatre critères fonctionnent comme les matières au Bac : il faut 10 de moyenne. Mais il n’y a pas de note éliminatoire. Les quatre matières sont :

  1. Biodiversité : il y a suffisamment d’indicateurs pour obtenir la note maximale sans changement de pratiques.
  2. Stratégie phytosanitaire : les indicateurs n’imposent pas une sortie des pesticides, ni même une réduction importante de leur usage. Ils ne prennent pas en compte la nature des produits à savoir s’ils sont des produits systémiques (qui pénètrent le végétal) ou cancérigènes, ou perturbateurs endocriniens.
  3. Fertilisation : les indicateurs n’imposent rien concernant les fuites d’azote, ou la couverture des sols.
  4. Irrigation : les critères n’entraînent aucune remise en cause de cette pratique ni la recherche de solutions moins gourmandes en eau.

Ajoutons qu’il n’y a aucun indicateur lié à la sauvegarde du climat, au bilan d’humus des sols, au bilan carbone global, à la valorisation énergétique des lisiers et déjections animales, etc.

Option B

C’est encore pire.

  1. Le poids des intrants (produits phyto, engrais, produits vétérinaires, aliments pour animaux, électricité…) doit être inférieur à 30% du chiffre d’affaire. Cette exigence est ridicule dans les cultures à forte valeur ajoutée comme la viticulture, où 30% du CA est une somme énorme.
  2. Les infrastructures agroécologiques (IAE) doivent occuper une proportion de la surface agricole utile ( SAU) supérieure à 10 % ou bien le pourcentage de la surface agricole occupé en prairies permanentes doit être supérieur à 50%. Ces IAE peuvent être des haies, des surfaces boisées, herbacées, des jachères mélifères, des bandes culturales extensives, des mares, des fossés humides, des murets, des tas d’épierrage…

Cette option est celle qui a été choisie par 30% des exploitations actuellement labellisées HVE au niveau national. Dans la Gironde où on atteint un nombre total record (1610 exploitations), la proportion est sans doute bien supérieure.

Infographie du ministère de l’agriculture

Un débat houleux

La HVE ressemble donc fort à une opération de “comm”. Et l’affaire met en colère les associations environnementales, y compris celles qui ont présidé à la naissance de ce label comme FNE. Elle met aussi en colère des organismes de défense du bio, qui se sentent floués et la Confédération paysanne, qui milite depuis des années pour une agriculture paysanne.

Le ton monte depuis quelques mois sur les réseaux sociaux comme Twitter.

Le débat s’est envenimé à l’occasion de l’élaboration de la future PAC qui envisage d’amalgamer la certification bio et les labels environnementaux type HVE sous la même rubrique d’ “écorégimes”. Il a été relancé, le 13 novembre dernier, par le vote à l’Assemblée nationale d’un amendement au PLF qui octroi 2500€ de crédit d’impôts aux exploitations labellisés HVE. Enfin, le CIVB a remis 1€ (ou plus) dans la machine en portant plainte contre des analyses de bouteilles de vin (dont la plupart portant ce label) par l’association Alerte aux toxiques et sa porte-parole Valérie Murat.

Qu’y a-t-il de plus ridicule que d’incriminer des résultats d’analyses de laboratoire ? Le CIVB a-t-il fini par croire ses propres “éléments de langage” sur l’agribashing au point de risquer ce ridicule-là ? Il semble d’ailleurs s’être pris les pieds dans le tapis en portant plainte pour “dénigrement” (traduction de bashing) contre Valérie Murat, et pas pour diffamation (seul motif reconnu par la justice). En France, une plainte contre des critiques n’est jusque là pas recevable, même si le plaignant a beaucoup de pouvoir.

Volant au secours de l’organisme qui syndique bon nombre de ses clients, le laboratoire Dubernet, auteur des analyses en question, est intervenu dans le débat pour préciser :

  • que les limites réglementaires de résidus de pesticides (LMR) ne sont pas dépassées. Normal, celles-ci n’existent pas. Le vin, contrairement à l’eau potable, n’est pas soumis à des LMR.
  • qu’il ne cautionne pas la démarche de l’association, ce qui est son droit le plus strict (d’autant que ce sont ses principaux clients qui sont attaqués).
  • que la HVE “offre un arsenal nouveau de mesures environnementales, parmi lesquelles une traçabilité absolue, le nombre et l’efficacité des traitements, l’accent sur la biodiversité de l’environnement immédiat des parcelles de vigne, sur la vie du sol (qui est un enjeu supérieur pour l’environnement souvent trop négligé), etc…”.

L’ingénieur-œnologue — sortant totalement de son rôle de scientifique — sombre ici dans un discours idéologique car il n’y a pas plus de traçabilité des vins produits avec ce label (qui ne concerne que l’exploitation) que des autres. Le consommateur ne sait rien du nombre de traitement ni du sort réel de la biodiversité dans la propriété. Il ne peut au contraire que s’inquiéter, lorsqu’il découvre que la bouteille contient une dizaine de molécules plutôt inquiétantes qui ont forcément été utilisées pour traiter la vigne.

Cette sortie de route n’émeut pas du tout la journaliste Emmanuelle Ducros, qui se fait le chantre sur Twitter de la défense de l’agriculture chimique et du dénigrement de tous les anti-pesticides au nom de la science (pourtant étrangère à sa formation). E. Ducros est une journaliste politique (L’Opinion) qui s’est “piquée de la question agricole”, comme l’écrit un ouvrage récent*. Elle monte “au front” avant chaque émission d’Envoyé Spécial et se fait une fierté de réclamer des preuves scientifiques. Elle s’est donc réjouie du “tonitruant” communiqué de Dubernet, qui a l’apparence d’une preuve scientifique permettant de confondre l’association Alerte aux Toxiques. Nous avons vu qu’il n’en est rien.

* Les Gardiens de la Raison, Enquête sur la désinformation scientifique, S. Foucart, S. Horel, S. Laurens, éd. La Découverte, 2020.

Un contexte économique difficile

La Confédération paysanne, dans un communiqué du 18/09/20 s’interrogeait sur la démarche du CIVB qui venait d’annoncer son intention de porter plainte. On pourrait effectivement penser que le CIVB a mieux à faire que de donner de la publicité aux analyses de vins qui détériorent une image de marque déjà passablement écornée. A moins qu’il n’espère pouvoir résoudre ce problème par des dépenses de communication ?

“Il faudra autre chose pour rehausser l’image du vin et de notre métier. Seule la viticulture bio, qui s’appuie sur des critères clairs et génère la confiance des consommateurs, surnage dans ce marasme commercial.”

Extrait du communiqué de presse de la Confédération paysanne

C’est à ce communiqué que répond une curieuse “association pour le développement de la HVE” qui pense faire un énorme “coup” en accusant la Confédération paysanne non pas d’agribashing, mais de bashing agroécologique. Whaouhh !

Mais au fait, qu’est-ce que cette association ? Qui représente-t-elle ? Une petite recherche sur Google suffit pour apprendre que ses locaux sont les mêmes que ceux de Viticulteurs Indépendants de France, à savoir 18 Avenue Winston Churchill, à Charenton le Pont. Rien d’étonnant à cela puisque le syndicat viticole a accompagné le lancement de la HVE depuis 2014 ! (voir cet article de la revue Vitisphère).

C’est la même revue Vitisphère qui relaye sur Twitter le message de l’association HVE.

Pourtant, bien des gens “raisonnables”, loin des cercles militants, avouent que ce label pose problème. Jérôme Baudouin, rédacteur en chef de la Revue du vin de France, tout en critiquant la méthodologie utilisée par l’association Alerte aux Toxiques (certains millésimes parmi ceux analysés n’étaient pas labellisés HVE) reconnaît :

“Facile à décrocher, le label HVE fait aussi le bonheur de la grande distribution qui communique allègrement dessus. A l’autre bout de la chaîne, le consommateur apparait comme le grand perdant de ce greenwashing agricole qui laisse entendre que cette haute valeur environnementale serait tout aussi vertueuse que la mention AB”

La RVF n° 645 novembre 2020

Alors, la HVE est-elle inutile ?

Non, la HVE est utile à ceux qui la promeuvent. Elle fait partie des multiples stratégies du gouvernement et des tenants de l’agriculture chimique pour noyer le poisson, gagner du temps, faire croire qu’ils agissent alors qu’ils n’ont pas vraiment décidé de réduire l’usage des pesticides ni de sortir d’un productivisme destructeur de la biodiversité, destructeur d’emploi et sans avenir. Tant que l’option B existe, et tant que l’option A admet des critères qui se compensent mutuellement, sans note éliminatoire notamment sur l’usage des pesticides, il n’en sortira que du vent.

Voilà pourquoi APHG était présente ce 17 décembre devant le tribunal de Libourne pour soutenir Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques. Ce procès se retourne déjà contre ceux qui l’ont intenté et nous ferons tout pour que l’effet boomerang soit maximal en continuant d’informer, d’argumenter et d’exiger l’arrêt des pesticides de synthèse.

Rassemblement devant le tribunal de Libourne le 17 décembre 2020