« Les Côtes de Bourg accélèrent leur conversion »

C’est le titre d’un article paru dans Haute-Gironde le 12 mars 2021 (p. 18).

Chouette se dit-on ! Enfin nous allons vivre dans le Nord Gironde sans la crainte de voir un jour se développer un cancer ou de voir le nombre de jeunes enfants présentant des troubles du comportement augmenter ou de constater des pubertés précoces chez les petites filles. Le lecteur pourrait croire que tout va mieux dans le meilleur des mondes des Côtes de Bourg. Le consommateur est heureux, libéré des vilains produits qui furent autrefois employés. La nature est protégée et sera en pleine résilience après les nombreuses conversions HVE.

C’est en tout cas ce que laisse entendre le président des Côtes de Bourg qui affirme, satisfait : « C’est aussi important d’être précurseur d’une certaine dynamique qui met en confiance nos acheteurs mais qui s’installe aussi comme un état d’esprit : monter un dossier, le faire partager cela permet de se projeter vers des méthodes et des produits vertueux. »

Taux standardisé de mortalité prématurée pour 100 000 habitants. Le territoire du Contrat local de santé de Haute-Gironde est entouré de rouge


Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Un lecteur avisé l’aura remarqué, il n’est question dans cet interview que des consommateurs. Le riverain serait-il une forme humanoïde disparue dans les Côtes de Bourg ? Aucun enfant, pas de femmes enceintes, ni de travailleurs des vignes ?
« Il faut absolument développer le logo du HVE pour que le consommateur reste confiant et rassuré » ajoute le Président.
Mais qu’est-ce que le HVE, présenté dans cet article comme l’une des panacées de l’agriculture actuelle ? Comment obtenir ce label HVE3, le seul qui permette de placer la belle étiquette avec papillon et soleil sur la bouteille et qui donne tant confiance ? Nous avons déjà exposé sur ce site en détail les critères qui permettent d’obtenir ce label selon deux voies : l’option A ou l’option B (totalement comptable). Chacun peut se faire sa propre opinion en téléchargeant le dossier complet ici sur le site du Ministère de l’agriculture et constater que malgré son nom dithyrambique “Haute Valeur Environnementale”, ce label n’impose pas l’arrêt des pesticides, pas même les plus dangereux d’entre eux.

Etonnant non ?

Les analyses des millésimes sélectionnés par l’association Alerte aux Toxiques, puis celles présentées au journal télévisé de France 2 du samedi 27 février (voir notre article) montrent bien qu’il peut y avoir des résidus de pesticides cancérigènes ou perturbateurs endocriniens dans des vins dits de « Haute Valeur Environnementale ». Ces résidus sont là parce qu’on a utilisé les produits en question pour traiter le vignoble.

Carte des tonnages d’achats de pesticides (tous pesticides) par départements en 2019 publiée par Générations Futures en mars 2021. La Gironde est encore en tête.

Petit rappel utile : le milieu agricole utilise 90% des consommations nationales de pesticides (une proportion qui ne cesse d’augmenter puisque dans le même temps les collectivités et les particuliers n’ont plus le droit de les utiliser). Lors de la pulvérisation entre 15% (dans le meilleur des cas) et 75% des quantités de pesticides appliquées partent dans l’atmosphère (données de Générations Futures et de fabriquant de matériel d’épandage). Certes, un bon pulvérisateur, bien réglé, permet de réduire cette volatilisation lors de l’application mais les produits déposés sur le végétal peuvent aussi être soulevés dans un deuxième temps, deux ou trois jours plus tard. C’est la volatilisation post-application qui, pour certaines molécules, est encore plus importante que la première dérive (voir notre article sur les analyses ATMO-NA).

Et quelles sont ces molécules que respirent les néoaquitains ?

Second petit rappel utile : la cour européenne de justice par sa décision du 23/11/2016 donne le droit à l’information relative aux émissions dans l’environnement de produits quant à leur nature. Elle précise que cela concerne le rejet dans l’environnement des pesticides. Comment se fait-il que cette décision ne soit pas suivie d’effets, notamment pour ce qui est de l’information complète des riverains ? Quand aurons-nous, riverains, l’inestimable avantage de connaitre la nature des produits qui inondent notre environnement ?

Une étude de l’Observatoire régional de santé a montré que 30% des habitants de Haute Gironde se trouvent à moins de 50 mètres d’une vigne. Cela représente presque 30 000 personnes exposées de manière intense à des produits parfois très dangereux. Dans le même temps, on y observe une surreprésentation de certains types de cancers.

Comme dans l’ouvrage de ORWELLS, « 1984 », la novlangue sévit fortement dans certaines instances des appellations agricoles et la tendance est forte à se contenter de stratégie de communication pour “sauver le soldat pesticide de synthèse » qui rapporte énormément à quelques firmes, et offre une assurance récolte à d’autres, même si c’est au détriment de la santé de jeunes enfants, de femmes enceintes et d’adultes qui se sont retrouvés trop longtemps exposés à ces produits.
C’est en tout cas le choix fait par le CIVB qui utilise à plein les millions d’euros que lui rapportent les COV (contributions obligatoires volontaires) payées par les viticulteurs, pour une débauche de publicité orchestrée par des “chargés de comm” capable de vendre tout et n’importe quoi. On comprend bien pourquoi ce CIVB s’est acharné contre l’association Alerte Aux Toxiques car son plan de com a été plus qu’écorné. On comprend moins bien pourquoi les Côtes de Bourg se sont embarquées dans cette affaire, alors qu’un mouvement important de conversion au bio – bien plus bénéfique à leur promotion – est en cours sur le territoire de l’appellation. Lorsqu’une stratégie est maladroite, pour ne pas dire plus, le mieux serait de le reconnaitre et de reprendre la réflexion avant d’engager des dizaines de milliers d’euros pour s’offrir une star du barreau comme avocate.

Concernant l’utilisation de glyphosate, la Gironde n’arrive qu’au 2ème rang au classement du Glyph’Award organisé par Générations Futures en 2019 avec plus de 185 tonnes, derrière la Charente-Maritime (241 tonnes).


Nous saluons ces viticulteurs, de plus en plus nombreux, qui se montrent plus clairvoyants et ambitieux que les organismes sensés les aider et les représenter. Un puissant mouvement de conversion au bio s’est emparé d’eux si l’on en croit la revue Vitisphère.
Il est fort dommage que les aides des pouvoirs publics (crédits d’impôts, aides de la PAC) ne soient pas davantage fléchées vers celles et ceux qui font tout pour éviter les produits les plus nuisibles pour les riverains, la faune, la flore et pour notre ressource en eau.
Il est regrettable que les dirigeants des organismes des vins de Bordeaux traînent des pieds pour s’engager dans cette conversion et s’agrippent comme à une bouée à ce label HVE dont tout le monde connait maintenant la duperie. Il n’est pas du tout une « projection vers des méthodes et des produits vertueux », contrairement aux affirmations du Président des Côtes de Bourg.