Pesticides des villes et pesticides des champs

Nous avons plusieurs fois évoqué et soutenu l’action courageuse de quelques maires (une centaine) pour pousser le législateur à aller plus loin dans la protection de la santé publique concernant les pesticides. Ce combat était au centre de nos Etats Généraux des riverains, en février dernier et il est loin d’être terminé.

Florence Presson (à droite) vice-présidente du collectif des maires anti-pesticides, lors des EGR de Blaye en février 2020.
Florence Presson (à droite) vice-présidente du collectif des maires anti-pesticides, lors des EGR de Blaye en février 2020.

Loi Labbé

Cette loi qui porte le nom du sénateur du Morbihan qui l’a portée, a été une avancée décisive. Contrairement au plan Ecophyto, elle ne s’est pas contenté d’énoncer des intentions mais elle a mis en place plusieurs restrictions importantes :

  • Depuis le 01/01/2017 il est interdit aux personnes publiques d’utiliser/faire utiliser des produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, forêts, promenades et voiries ( sauf pour des raisons de sécurité …) accessibles ou ouverts au public. Seuls les produits de biocontrôle (voir notre rubrique), et ceux autorisés en agriculture biologique sont utilisables.
  • Depuis le 01/01/2019, l’interdiction s’étend aux particuliers. Les jardiniers amateurs ne peuvent plus utiliser ni détenir de produits phytosanitaires sauf ceux de biocontrôle et ceux autorisés en agriculture biologique. De plus, hormis ces derniers, tous les autres produits phytosanitaires de la gamme amateurs seront interdits à la vente.

Ce sont d’ailleurs ces restrictions d’usage qui expliquent pour l’essentiel la récente baisse des ventes de glyphosate en France. La mission parlementaire (voir ici) chargée du plan de sortie du glyphosate ferait bien d’en tirer des conclusions et d’étendre le champ d’application de la loi Labbé à l’agriculture, en commençant par une interdiction de ces produits sur les parcelles jouxtant des habitations et les établissements sensibles.

Sur le terrain d’une commune, il reste en outre de nombreux espaces sur lesquels il faut éliminer ces pesticides : les cimetières, les espaces résidentiels, les parking commerciaux, ou les parking d’entreprises continuent de les utiliser, pour peu qu’un.e employé.e ait le “certiphyto”. Il reste aussi les voies routières ou ferrées qui traversent la commune.

Beau cimetière champêtre garanti sans glyphosate, Montpeyroux, près de St Michel de Montaigne (33)

La bataille des arrêtés municipaux

Le 13 juin 2019 le maire de Gennevilliers s’est à son tour engagé dans cette bataille. Il a pris un arrêté interdisant l’utilisation de produits phytos pour l’entretien de certains espaces du territoire communal non prévus par la loi Labbé : les jardins et espaces verts des entreprises, des propriétés et copropriétés des bailleurs privés et bailleurs sociaux privés, les voies ferrées et leurs abords, les voies de tramway et de leurs abords, les abords des autoroutes A89 et A15, de la nationale N315 et de l’ensemble des routes départementales traversant la commune.

Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé, comme dans de nombreux départements, au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d’annuler cet arrêté.

Surprise : le 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du préfet des Hauts-de-Seine. Mais la bonne nouvelle est de courte durée car le 14 mai 2020, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles, sur appel du préfet des Hauts-de-Seine, a annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy et suspendu l’exécution de l’arrêté municipal.

Voilà pourquoi la commune de Gennevilliers a demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette dernière ordonnance et de rejeter l’appel du préfet des Hauts de Seine. Le Conseil d’Etat vient malheureusement de rejeter, fin décembre 2020, la requête du maire de Genevilliers.

Conseil-Etat-Geneviliers

L’argumentaire de l’Etat

Au travers de cette décision du Conseil d’Etat, il est intéressant de comprendre les arguments utilisés par le rapporteur public.

Le Conseil d’État estime que le législateur « a organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, confiée à l’Etat » et dont l’objet est … « d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, alors que les effets de long terme de ces produits sur la santé restent, en l’état des connaissances scientifiques, incertains ».

Au milieu des expressions très “administratives”, on notera l’affirmation dénuée de tout fondement scientifique “les effets de long terme de ces produits sur la santé restent incertains“. Alors pourquoi certains de ces produits sont-ils classés cancérigènes ou reprotoxiques par les services de l’Etat ? Pourquoi toutes ces enquêtes sanitaires sur l’état de santé des agriculteurs (voir rubrique Agrican) ? Pourquoi les lymphomes non Hodgkiniens et la maladie de Parkinson sont-elles reconnues maladies professionnelles par la MSA ? Le principe de précaution, inscrit dans la constitution, pourrait être convoqué à cet endroit.

Voilà pourquoi un maire se sent justifié à utiliser ses compétences en matière de sécurité et de salubrité publiques pour édicter une réglementation précisant les conditions d’utilisation des produits phytos. Mais le Conseil d’Etat estime lui,  qu’il appartient aux seules autorités de l’Etat de prendre ce genre de décision.

Autre argument utilisé : ” Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques“. Circulez il n’y a rien à voir, nos produits sont contrôlés et autorisés ! Mais pour ce qui est du contrôle permettant d’approuver les substances il y a là plusieurs mensonges qui prouvent que l’Etat ne fait pas son travail :

  • Nous avons vu récemment comment une substance active classée CMR1 comme le Mancozèbe a pu passer à travers mailles, bénéficier de 4 délais de grâce malgré une réglementation qui aurait du amener à l’interdire depuis longtemps.
  • Nous avons vu aussi comment des substances dont de nombreux chercheurs redoutent les effets à long terme sur l’homme et la biodiversité, les SDHi (voir ici et ), ne sont pas évalués à leur juste dangerosité. Ce sont d’ailleurs les industriels qui élaborent eux-mêmes les fiches toxicologiques de leurs produits.
  • Nous avons vu enfin comment les adjuvants et coformulants peuvent passer eux aussi à travers mailles et ne pas être déclarés par le fabricant qui n’est pas obligé de les mentionner sur l’étiquette. Les résultats des analyses du Pr. Séralini que nous avons évoquées dans la rubrique biocontrôle ont montré que ceux-ci peuvent être très dangereux y compris dans des produits vendus aux jardiniers amateurs.

Les arguments du rapporteur public ressemblent étrangement au bréviaire que servent à longueur de tweet et de déclarations les ministres de l’agriculture, les responsables de la FNSEA, les lobbies agro-industriels et ceux des fabricants de pesticides. Vite, une loi de séparation des lobbies et de l’Etat !

SNCF

Avec 35 tonnes de glyphosate par an, la SNCF est le plus gros consommateur du pays. L’entreprise annonce son intention de changer ses pratiques de désherbage des voies et entreprend d’élaborer une charte d’engagements que l’on peut lire ici. Elle envisage d’utiliser des machines réduisant les dérives de pulvérisation et d’abandonner le glyphosate pour utiliser des produits de biocontrôle à base d’acide pélargonique. Ces produits ne sont pas toujours inoffensifs contrairement à ce que le terme “biocontrôle” laisse entendre (voir notre rubrique), mais l’intention est louable.

Cette charte est soumise à une consultation digitale jusqu’au 20 janvier à laquelle vous pouvez contribuer ici.

visuel SNCF sur la “maîtrise” de la végétation aux abords des voies

NB : Pour mémoire, la SNCF est responsable d’une autre grave pollution depuis des décennies : celle au Lindane. Cet insecticide est interdit en agriculture depuis 1998. Mais il a servi de biocide, notamment dans le traitement du bois des traverses SNCF, jusqu’en 2006. Malgré l’interdiction et du fait de sa rémanence, le Lindane est encore omni-présent dans les sols et l’air de la région comme le montrent chaque année les enquêtes ATMO. D’où l’intérêt de contrôler plus sévèrement et à l’abri des lobbies les autorisations de mise sur le marché !