Pesticides : non, Macron n’a pas cassé la courbe !

Alors que ce quinquennat s’achève, le président Macron n’hésite pas à se lancer dans une communication mensongère concernant son action environnementale en général et la question des pesticides en particulier. L’histoire retiendra que c’est sous son règne que les néonicotinoïdes interdits après des années de catastrophe pour les insectes pollinisateurs ont été réautorisés. Que les ventes du glyphosate ont continué d’augmenter alors que le produit devait être interdit. Qu’une usine à gaz a été inventée : un arrêté imposant des distances de traitement et un décret prévoyant des chartes départementales permettant de déroger aux distances de traitement. Usine à gaz fort heureusement retoquée par le Conseil d’Etat (voir notre précédent article). Aujourd’hui ce même président inaugurant le congrès de l’UICN se vante d’avoir “cassé les courbes”. C’est indécent, scandaleux, révoltant et les Amis de la Terre, comme la plupart des associations de protection de l’environnement ont bien raison de dénoncer ses mensonges.

Macron ou l’ère de la post-vérité

Comment sont calculés les chiffres des pesticides ?

Depuis qu’a été instaurée la Redevance pour Pollution Diffuse (RPD) qui taxe (légèrement) les produits phytos, les vendeurs de pesticides doivent déclarer au début de l’année n+1 (avant le 31 mars) les ventes réalisées l’année n auprès des agences et offices de l’eau. Mais il faut ensuite agréger toutes ces données et à la fin juillet de l’année n+1, le gouvernement annonce des chiffres qui sont encore provisoires. Les données consolidées ne sont généralement connues qu’en décembre de l’année n+1 voire au début de l’année n+2.

Choix de l’unité

Les scientifiques et le plan Ecophyto lui-même reconnaissent que les données brutes sur les ventes sont peu exploitables. Elles sont généralement fournies en QSA (Quantité de Substance Active) exprimées en tonnes ou en kg, voire en litres. Et surtout elles concernent des produits dont la dangerosité est très variable. Or les nouveaux produits sont souvent plus concentrés et dangereux à faible dose que les anciens. On a donc inventé une autre unité qui donne une information plus fiable : le NODU, le nombre de doses unité.

Si un agriculteur a épandu 1 kg/ha d’un produit dont la dose maximale autorisée est de 4 kg/ha : le NODU est de 0,25. S’il a épandu 1kg/ha d’un produit dont la dose maximale est de 1 kg/ha : le NODU est de 1. Il faut calculer le NODU pour chaque produit et ensuite agréger toutes ces données pour l’ensemble des produits (sauf les produits de biocontrôle). Voilà pourquoi la publication de ces chiffres est tardive mais on peut aussi soupçonner l’administration de traîner les pieds car ce moment de flou permet au gouvernement des communiqués fanfaronnant que les données consolidées démentent par la suite.

Ces chiffres ne disent pas tout

  • Ces calculs excluent les adjuvants que contiennent les préparations commerciales, parfois très dangereux, à propos desquels nos associations dénoncent une non-transparence totale.
  • Ces données prennent en considération les achats et ventes de pesticides en France mais les achats de produits faits à l’étranger échappent au radar. Un récent jugement dans la Manche a condamné plusieurs exploitants et intermédiaires pour l’utilisation d’un pesticide interdit depuis deux ans. A cela il peut y avoir plusieurs explications : l’utilisation d’un stock fait de façon anticipée ou un achat dans un pays voisin. C’était ce dernier cas pour les producteurs de carotte de la Manche qui importaient d’Espagne et faisaient épandre de nuit du dichloropropène (l’affaire porte sur plusieurs tonnes) par une entreprise de travaux agricole elle aussi lourdement condamnée.

Enfin, si on veut avoir une idée précise de l’évolution de l’usage des pesticides, il faut lisser les informations sur trois ans pour gommer des fluctuations peu significatives, comme les variations liées à la météo, ou aux prix de ces produits. Par exemple une partie de la hausse des ventes de 2018 s’explique par l’annonce d’une augmentation de la RPD au 1er janvier 2019.

La propagande gouvernementale

Le 30 juillet 2021, nous avons vu fleurir des titres de presse alléchants et enthousiastes, répétant tous exactement le même élément de langage gouvernemental, comme dans les pays où la presse n’est pas libre :

Vous l’aurez compris, les ventes de pesticides ont augmenté mais l’exécutif va “inverser la tendance”. Cela tient de la formule magique ou de l’incantation vaudoue. Mais les dieux sont avec nous et vont sûrement faire des miracles. Pourtant, si l’on regarde de près, il n’y a pas de quoi se pavaner. La QSA de 2020 est de 65341 tonnes au total, soit quasiment le même chiffre qu’en 2012 (65246t), et représente une hausse de +19% par rapport à 2019.

Mais puisqu’on ne peut pas en dire davantage sur 2020 car les données sont incomplètes, regardons ce qui s’était passé pour les chiffres de 2019, année pour laquelle nous disposons maintenant du NODU (depuis fin juillet 2021), ce qui nous a permis d’actualiser notre graphe de suivi du NODU où nous comparons l’évolution de celui-ci avec les plans Eophyto successifs (les plans de réduction de l’usage des pesticides). Nous sommes toujours très au-dessus des chiffres annoncés. La chute de 2018 à 2019 apparaît très importante parce que le niveau atteint en 2018 (anticipation de la hausse de la RPD et mauvaise météo) avait été phénoménale.

Si maintenant nous suivons la moyenne triennale en mettant comme valeur en 2011, la moyenne des trois années 2009-2010-2011, en 2012, la moyenne des trois années 2010-2011-2012 et ainsi de suite … on a une courbe plus lisse qui s’affranchit des hausses ou des baisses occasionnelles (liées aux tarifs ou à la météo). Nous voyons alors que la chute de 2019 est très très relative, et en tout cas toujours très au-dessus des prévisions du plan Ecophyto II. La moyenne 2017-2018-2019 est très exactement en hausse de 17% par rapport à l’année de référence 2009. Si on demande en prime au tableur de tracer la courbe de tendance (régression linéaire) ici en bleu, il devient terriblement difficile d’affirmer que cette tendance est dans le bon sens !

Cerise sur le gâteau : les CMR et le glyphosate

Une autre vantardise du communiqué gouvernemental est d’avoir réduit la part des produits CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques) et ce n’est pas la moins agaçante. Il faut savoir que les produits CMR1 (avérés) devraient avoir complètement disparu car le retrait de leur homologation a été annoncée depuis 2009, et, s’il n’y avait pas eu des délais de grâce, ils devraient tous être interdits en 2019, 10 ans plus tard (le gouvernement oublie de le préciser). Mais c’est sans compter sur la roublardise des fabricants qui font tout pour faire classer leurs produits en CMR2 (suspectés seulement) depuis cette décision. C’est donc l’ensemble CMR1+CMR2 qu’il est interessant de suivre. Et encore une fois, la communication tapageuse fait flop ! Car les ventes de CMR2 ont augmenté de + 237 t entre 2019 et 2020, comme l’a calculé Générations Futures.

Concernant les ventes de glyphosate, c’est près de 9000 tonnes de plus en 2020 par rapport à 2019. La “politique des petits pas” est bien un voile pudique qui peine à masquer la prédation des multinationales des pesticides. Il nous faut des responsables politiques qui renoncent à leur servir la soupe en permanence. Voire, rêvons un peu, qui aient le courage de les affronter !