Vins de Bordeaux : l’autobashing

Alors qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours en France, alors que dans notre région les viticulteurs ont de plus en plus de mal à écouler leurs vins, que nombre de ceux qui souhaitent prendre leur retraite peinent à vendre leurs propriétés, la profession serait en droit de réclamer aux dirigeants des organismes interprofessionnels l’impulsion et le dynamisme qui permettrait de redresser la barre. D’autant qu’ils payent pour cela une CVO (contribution volontaire obligatoire) qui alimente le budget du CIVB d’une coquette somme située en 25 et 30 M€ chaque année.

Affaire Médeville

C’est pourtant tout le contraire qui se passe et les représentants des organismes de défense et de gestion (ODG) sont parfois les premiers à dégrader l’image des vins de Bordeaux par toute une série d’affaires qui laissent planer un doute sur les pratiques de l’ensemble de la profession (surtout lorsqu’elle se tait). La dernière en date est l’affaire Médeville qui met le dirigeant de l’appellation Vins de Bordeaux et Bordeaux Supérieurs aux prises avec la justice pour “pratiques commerciales trompeuses et détention prohibée de saccharose”. Les pratiques de vinification mises en cause porteraient, selon Sud-Ouest sur environ 2400 hectolitres et plus d’un million d’euros.

article de SudOuest du 31/01/2020

Ce 25 juin 2020, la juge du Tribunal judiciaire de Bordeaux a reconnu la culpabilité de Jean et Marc Médeville, à la tête de la SCEA Médeville et respectivement présidents de l’AOC Cadillac Côtes de Bordeaux et du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs. La SCEA a été condamnée à une amende de 400 000 euros, dont 200 000 € avec sursis. Les frères Médeville ont été condamnés chacun à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à 30 000 € d’amendes dont 15 000 € avec sursis. Ils étaient absents lors du délibéré et avaient plaidé “l’absence d’intention de frauder”, genre “j’ai mis du sucre dans la cuve mais je l’ai pas fait exprès”. Un truc qui a cours depuis quelques années pour la fraude fiscale (uniquement celle des gros contribuables) “j’ai truqué ma déclaration d’impôts mais je l’ai pas fait exprès” et la faute avouée est pardonnée.

Ici la peine a été réduite par rapport aux requis, même si le tribunal a souligné que le niveau des responsabilités professionnelles des condamnés porte “une atteinte à l’image de la viticulture dans son ensemble et des vins de Bordeaux en particulier”.

Réaction de la Confédération paysanne

Dans un communiqué de presse daté du 2 février, la Confédération paysanne évoquait l’affaire et s’interrogeait : ” Quelles leçons ont été tirées des épisodes précédents ? Apparemment aucune. Où est donc le Bordeaux bashing sinon dans de telles pratiques ?”. Le syndicat paysan ajoute : ” Les institutions viticoles bordelaises s’apparentent de plus en plus à un regroupement d’irresponsables professionnels agissant en bande organisée. Quelle légitimité leur reste-t-il pour proposer et mettre en œuvre des mesures de redressement qui risquent d’être exigeantes? ». et de conclure «le lien de confiance indispensable entre les vignerons et les amateurs de vin doit absolument être rétabli » et d’en appeler à des Etats Généraux de la viticulture de Bordeaux » pour « mettre fin à un système moribond ». 

Une succession d’affaires

Il faut dire que les « affaires » dans le petit monde des vins de Bordeaux ne relèvent plus de l’anecdotique mais révèlent bien un état profond de la profession, ou plus exactement des responsables de la profession. L’été dernier c’est l’affaire Grandeau qui secouait l’actualité girondine. Le président de la Fédération des grands vins de Bordeaux (FGV) était condamné en juin à 6 mois de prison avec sursis pour une fraude d’une ampleur encore plus importante, portant sur plusieurs milliers d’hectolitres. Cela n’avait pas empêché Hervé Grandeau de se présenter en juillet 2019 à la tête du CIVB, organisme qui représente près de 6 000 viticulteurs du département, ni d’ailleurs d’être élu. Il a fini par démissionner en octobre suivant.

L’année précédente en 2018 c’était l’affaire Castéja, du nom de la holging familiale qui possède la société de négoce Grand Vin de Gironde (GVG). Plus de 6 000 hectolitres de vin, selon Le Figaro, d’une valeur de 1,2 millions d’euros ont servi à des mélanges interdits et sans traçabilité. La société a été condamnée à (seulement) 400 000 € d’amende dont la moitié avec sursis.

Cette même société (GVG) avait déjà été condamnée en 2005 pour « tromperie sur la marchandise et publicité mensongère » à payer une amende de 30 000 €. Mais tout cela n’avait pas empêché Philippe Castéja de rester membre du bureau du CIVB où il fait « la pluie et le beau temps » selon un article du Canard paru le 27 novembre 2019. L’article évoque le soudain classement de l’une des parcelles de ce Ph. Castéja en appellation Pauillac, multipliant ainsi par 20 le prix de son terrain. Enfin l’homme – propriétaire de châteaux à Pauillac, St Estèphe, Pomerol et St Emilion, est soupçonné d’avoir influencé à son profit le classement 2012 des vins de St-Emilion. Il est dans cette affaire coaccusé avec Hubert de Boüard (propriétaire de l’Angélus) mais à la surprise générale, le Parquet de Bordeaux a requis un non lieu. La Procureure a fait appel en août dernier de l’ordonnance de renvoi… La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux devait trancher le 13 février ; cela a été remis au 5 mars…puis est arrivé le confinement.

Bref, le procès Médeville qui arrive juste après toutes ces affaires laisse effectivement un gout amer dans la bouche de nombreux viticulteurs.