Fiscalité écologique et pesticides

 tweet du mardi 11 déc. 2018

La fiscalité écologique, il en est beaucoup question ces temps-ci, y compris en lien avec les pesticides. Profitant de l’agitation générale du pays, la FNSEA veut remettre en cause un des points de la loi Egalim qui vient d’être votée : celui concernant la Redevance pour Pollution Diffuse (RPD).

A grand renfort de tweets et de déclarations à la presse, sa présidente C. Lambert dénonce une forte augmentation de cette RPD allant de 37% à 70% selon les cas. Cela mérite d’y regarder de plus près.

La RPD taxe la consommation de pesticides à des montants qui étaient jusque là compris entre 0,9 et 5,1 € par kg de substance, en fonction de leur classification européenne en terme de toxicité, cancérogénicité ou dangerosité. Elle a rapporté en 2015 environ 130 M€, dont 41 M€ ont été affectés au financement du plan Ecophyto, le reste revenant aux agences de l’eau (au moins, il n’y a donc pas ici de détournement de taxe)*. Notons au passage que ces agences comme l’Agence de bassin Adour-Garonne font un travail de gestion des ressources indispensable ainsi qu’un travail de prévention remarquable (et qu’il est inquiétant que leur budget ait diminué cette année de 25%).

Quelques remarques sur cette imposition :

  • Son niveau reste faible et représentait, en moyenne, seulement 5 à 6 % du prix des produits (une taxe de 5% qui augmente de 70%, comme se plait à le dire Mme Lambert, passe en fait à  … 8,5%). Difficile d’affirmer que les agriculteurs sont “assommés”. À titre de comparaison, au Danemark, la taxe représente 54 % du prix de vente des insecticides, et 34 % des autres produits phytosanitaires !
  • L’augmentation prévue par la nouvelle loi ne concerne que les produits les plus toxiques. Elle est de 5,10 €/kg à 9 €/kg pour les substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques), et de 2€/kg à 3€/kg pour les substances les plus toxiques pour le milieu aquatique. Une autre taxe additionnelle de +5€/kg concerne les substances tellement dangereuses qu’elles vont être prochainement interdites.
  • Contrairement à la fiscalité sur des dépenses incontournables – comme celle sur les dépenses en carburant des salariés contraints de prendre leur voiture parce qu’ils ne disposent pas de transports en commun – cette fiscalité encourage l’utilisation des produits les moins toxiques. On a le choix de ne pas utiliser ces produits toxiques, même si la conversion n’est pas toujours facile et qu’elle doit être aidée davantage, nous ne cessons de le réclamer. Il n’y a aucune hausse de taxe sur les préparations non préoccupantes utilisées en biodynamie, ou sur les produits non CMR.

Par ailleurs, l’utilisation massive des pesticides coûte énormément à la communauté :

  • La dépollution des eaux de surface et côtières polluées par les nitrates et les pesticides agricoles était estimée en France (en 2011) à 54 Mdrs € soit le montant annuel de la PAC. Qui paye cette somme astronomique actuellement ? Les ménages (surcoût de la facture d’eau-assainissement d’au moins 10%), les collectivités locales, les agences de l’eau (nos impôts donc). Une autre étude du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) estime que le coût de l’élimination des pesticides dans les milieux aquatiques est de 60 000 € à 200 000 € par kg de pesticides !!! Cela mérite d’y réfléchir à deux fois avant de balancer même 1 g dans la nature.
  • En terme de santé un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales et de celle des Finances à propos de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides est paru en janvier 2018. Celui-ci estime que, pour des raisons financières, le nombre des victimes est largement sous-estimé et que “le risque d’exposition aux produits chimiques de la population agricole concernerait actuellement 100 000 personnes” !!! Le nombre de victimes potentielles est “évalué à 10 000 personnes, dont 2/3 pour la maladie de Parkinson” (tableau 58 du régime agricole AT-MP) et “1/3 pour les hémopathies malignes” (tableau 59). En clair, si les victimes de pesticides étaient reconnues comme maladies professionnelles et indemnisées, la MSA ferait banqueroute. Est-ce pour cette raison que la FNSEA en 2012 s’était opposée à la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle ? Ne serait-il pas beaucoup plus raisonnable de tout faire pour ne plus utiliser du tout ces produits comme le font les agriculteurs bio ?
  • Nous ne nous risquerons pas à chiffrer le coût de la diminution dramatique de la biodiversité (on parle de la 6ème extinction massive), pas plus que le coût de la vie d’une victime des pesticides. Ce sont pourtant les plus grandes pertes dans cette affaire et elles sont inadmissibles.

Alors Madame Lambert, nous voulons bien soutenir les agriculteurs puisque vous nous y invitez. Mais nous ne mettrons pas un gilet jaune ou vert pour que ceux qui polluent l’eau et mettent en danger la santé des riverains, des salariés (et la leur) soient dédouanés de tout. Nous souhaitons soutenir l’agriculture de demain, celle qui nous nourrira tous, tout en étant respectueuse de l’environnement et de la santé de tous.

Mise à jour du 25 mars 2019 :

On apprend que, sur huit programmes-type régionaux, le coût moyen de la RPD est de 35 €/ha en 2019 avec des variations de 11 à 65 €/ha selon les régions et selon que l’on utilise ou non des produits CMR (source : Eric Cantelot, expert Ecophyto national).