Le CIVB veut faire taire la science

Décidément, Bernard Farges et le CIVB n’en finissent pas de nous étonner. Nous avons appris, en marge du rassemblement de soutien à Valérie Murat le 13 octobre, le contenu de la lettre qu’il a adressée à la Préfète de Région. Le député LFI Loïc Prud’homme qui en était aussi destinataire a lu quelques passages de cette missive où le responsable des vins de Bordeaux demande de pouvoir discuter l’échantillonnage, le protocole et la diffusion des résultats de l’enquête Pestiriv, qui porte sur l’exposition des riverains des parcelles agricoles.

Banderoles des associations participant au rassemblement du 13 octobre devant la cour d’appel de Bordeaux, pour soutenir Valérie Murat

Enfin une enquête sérieuse sur l’exposition aux pesticides !

L’enquête Pestiriv annoncée dès 2019 lors de son étude de faisabilité est une grosse étude qui sera menée conjointement par Santé Publique France (SPF) et l’Agence Nationale ANSES (présentation ici). Elle sera réalisée auprès de 3 350 participants tirés au sort, des adultes de 18 à 79 ans et des enfants de plus de 3 ans vivant dans des zones viticoles (à moins de 500 mètres de vignes et à plus de 1 000 mètres d’autres cultures) et des zones éloignées de toute culture (plus de 1 000 mètres de toute culture).

C’est la plus grande étude d’exposition aux pesticides des riverains d’exploitation viticole conduite à ce jour en France mais les résultats sont annoncés pour 2024, ce qui loin. Elle se déroulera dans plusieurs régions et, en Nouvelle Aquitaine, sur le site de Pugnac, en Nord Gironde. Voilà pourquoi nous avons écrit dès décembre 2019 à Barbara Lefèvre, Directrice Générale de la Santé, pour demander qu’APHG soit associée au comité de suivi. Puisque seules les associations de dimension nationale peuvent l’être, nous suivons l’avancée des travaux grâce à nos amis de l’AMLP, l’association des médecins sur les pesticides.

Le choix de la Gironde ?

Le choix de la Gironde nous semble particulièrement judicieux puisque notre département est passé de la 2eme à la 1ère place en 2019 (dernière année pour laquelle nous avons des données stabilisées) sur le podium des ventes de pesticides. Avec 3038 tonnes de pesticides achetées en 2019, nous doublons effectivement le département de la Marne qui stagne à 2430 tonnes !!!

Le choix de la Haute-Gironde

Si la Haute Gironde semble intéressante pour SPF et l’ANSES, c’est que l’imbrication des habitats dans les parcelles agricoles y est très grande.

Une enquête de l’Observatoire régional de santé que nous avons présentée dans un article précédent (à lire ici), a pu mettre en évidence que sur les près de 90 000 habitants du Nord-Gironde, presque 30 000 (1/3) vivent à moins de 50 mètres des parcelles de vignes.

Pourquoi ces produits là ?

Il n’est pas difficile de faire la liste des produits à rechercher.

AIR Le comité de pilotage n’a qu’à étudier les dernières enquêtes de l’agence ATMO-Nouvelle Aquitaine qui montre, comme les précédentes, l’omniprésence dans l’air des différentes capteurs placés en Gironde du FOLPEL (de mars à septembre), ce fongicide abondamment utilisé par la viticulture en conventionnel comme en HVE qui est classé CMR2, c’est à dire cancérigène mutagène reprotoxique suspecté. Un capteur permanent est placé à Bordeaux mais, la campagne 2021 d’ATMO mesurera 107 pesticides dans l’air du Sauternais, celle de 2020 a placé en capteur dans la région des Graves (mais nous n’avons pas les résultats). Celle de 2019 avait mis un capteur dans le Médoc, et nous avions commenté les résultats édifiants ici.

EAU : Certains pesticides sont peu volatiles mais se retrouvent dans l’eau. Là encore, il n’est pas difficile d’en faire la liste car notre agence de l’eau Adour-Garonne les connait. Celle-ci rencontre de plus en plus de difficulté à garantir une eau potable ne contenant pas de pesticides, en tout cas pas au-dessus des seuils. Les limites de qualité pour les eaux brutes destinées à l’eau potable sont fixées à un maximum de 2 μg/L par substance, et de 5 μg/L pour la somme des différentes substances présentes simultanément dans l’eau. Pour les eaux distribuées au robinet, ces valeurs ne doivent pas dépasser un maximum de 0,1 μg/l par substance et de 0,5 μg/l au total, tout comme pour les masses d’eau souterraine pour être considérées en bon état chimique.

Une exposition multiple

Nous sommes exposés à de multiples produits polluants et c’est tout l’intérêt de Pestiriv de prendre en compte les différentes sources d’exposition, afin de mesurer l’importance relative de celles-ci et d’établir sur quels leviers agir pour protéger notre santé.

Visuel extrait de la brochure de présentation de Pestiriv

C’est pourquoi les analyses seront de deux types : biologiques (urine, sang, cheveux) et environnementales (air, poussières, eau). Bref, une démarche rigoureuse qui comparera les résultats obtenus pour la population étudiée à une population témoin qui n’a pas la même exposition. Histoire d’en avoir enfin le coeur net !

Farges écotoxicologue

On découvre en lisant la lettre de Bernard Farges que nous nous sommes procurée que le président du CIVB peut se permettre d’interpeller la plus haute représentante des pouvoirs publics de la Région, de la menacer de boycotter ses réunions et d’enrayer le bon fonctionnement de l’enquête. En cause, le fait qu’il n’ait pas été associé aux discussions sur l’échantillonnage [le choix de la population ciblée], le protocole [scientifique] et de la diffusion des résultats. Rien que ça ! Monsieur Farges pourrait discuter les protocoles scientifiques et modifier ceux qui lui déplairaient peut-être ?

Courrier-prefete-PESTIRIV-01_10_2021

Plus loin, B. Farges considère que “le focus sur le vignoble bordelais constitue un biais dans l’étude”. On se pince ! Choisir la culture la plus gourmande en pesticides (20% des volumes pour 3% de la surface agricole), dans le département le plus vorace de France constituerait un biais dans l’étude. Il préfèrerait sans doute qu’on aille faire l’étude en haut du Mont Blanc !

A la fin de la lettre notre écotoxicologue en chef jette par avance le soupçon sur les résultats et donne des leçons de méthodologie scientifique aux scientifiques eux-mêmes : « Nous ne sommes pas convaincus que l’Anses et SPF… feront l’effort de pédagogie et de contradiction nécessaire pour éviter des conclusions hâtives, faisant fi de toute rigueur scientifique ». Comprenez qu’il faudra expliquer au péquin moyen que si l’on trouve des pesticides en grande concentration dans le corps des enfants les plus proches des parcelles ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de pesticides dans leur environnement. Comme pour les vins HVE analysés par l’association Alerte aux Toxiques, si l’on trouve des résidus de pesticides à l’intérieur des bouteilles, cela ne prouve pas qu’ils ont été utilisés pour élever les raisins …

Dans un article paru dans Le Monde de ce 19 octobre, S. Foucart et S. Mandard épinglent cette lettre et relèvent que la phrase « Nous n’accompagnerons pas cette démarche, ni auprès des entreprises viticoles girondines ni auprès des maires des communes concernées. » constitue “une menace à peine voilée qui peut mettre en péril PestiRiv”. En effet “la réalisation de cette étude implique la coopération des viticulteurs, qui devront partager avec les agences leur calendrier d’épandages et les produits qu’ils utilisent”.

Heureusement, les viticulteurs·trices du Nord-Gironde nous semblent beaucoup plus intelligent·e·s que les dirigeants du CIVB dont les frasques judiciaires ruinent régulièrement la réputation des vins de Bordeaux. Ils en ont assez de payer une cotisation volontaire obligatoire à un organisme qui ne les aide pas en cette période de mévente voire les envoie dans le mur. Espérons qu’ils sauront appréhender-malgré les résistances de leur ODG- tout l’enjeu qu’il y a, d’abord pour leur propre santé et celle de leur famille, à coopérer à cette enquête.

Les marchands de doute

Un célèbre ouvrage paru en 2010 en français et écrit par deux historiens des sciences, évoquait les marchands de doute qui ont œuvré pendant des années, notamment aux Etats Unis. Depuis les années 1950, et plus particulièrement la fin des années 1980, une poignée de scientifiques américains, à la solde de lobbies industriels (tabac, énergie, pétrole), ont élaboré un savant travail de sape des vérités scientifiques. Une stratégie toute simple, qui a consisté à nier en bloc les preuves de la dangerosité du tabac, du DDT, de la réalité du trou de la couche d’ozone, des atteintes environnementales des pluies acides… Discréditer la science et les scientifiques, semer la confusion : grâce aux efforts d’un petit groupe d’« experts indépendants » et de médias naïfs ou complaisants, cette stratégie a fonctionné et fonctionne toujours.

Ces marchands de doute sont à l’œuvre – tout le monde le sait maintenant – pour produire des contre-expertises et discréditer celles qui alertent sur le caractère cancérigène du glyphosate.

Nous avons aujourd’hui une nouvelle version de cette démarche, avec l’intrusion d’un organisme privé dans la méthodologie d’une étude scientifique. Pourtant ce qui est en jeu n’est rien moins que la santé publique. Une nouvelle étude de l’INSERM parue en juin dernier a montré qu’il existe une “présomption forte” de lien entre l’exposition aux pesticides et au moins 6 maladies : 3 cancers (prostate, lymphome non hodgkinien, myélomes) ainsi que Parkinson, les troubles cognitifs et une maladie respiratoire. Il restera donc, lorsqu’on disposera des résultats de Pestiriv, à les mettre en relation avec la fréquence des maladies observées sur les sites.

APHG sera très attentive au déroulement de l’étude Pestiriv et nous demandons dès aujourd’hui aux pouvoirs publics de se porter garants de l’indépendance totale dans laquelle les scientifiques pourront mener cette étude et publier leurs résultats.