Pesticides : l’Etat multirécidiviste condamné

Pour la troisième fois, ce 22 décembre 2022, le Conseil d’Etat renvoie le gouvernement français à sa copie concernant la règlementation des épandages de pesticides (lire la décision ici).

Rappel des épisodes précédents

Nous avions relaté ici comment l’arrêté de 2017- insuffisamment protecteur des populations – avait été annulé et remplacé par l’arrêté de décembre 2019. Ce dernier avait institué une usine à gaz : un arrêté fixant des zones de non-traitement (ZNT) de 20 m (pour les produits les plus dangereux), et 10 m pour les autres mais un décret adossé à cet arrêté permettait de déroger à ces distances grâce à des “chartes de bon voisinage” (voir notre article ici ). Ces chartes de bon voisinage, écrites sous la dictée de la FNSEA dans tous les départements de France, et pour lesquelles aucune négociation n’avait été possible avaient été abondamment critiquées lors de nos Etats Généraux des Riverains de 2020.

Suite à une première requête des associations, Le Conseil d’Etat avait ordonné en juillet 2021 de revoir cet arrêté de 2019 afin d’augmenter les ZNT pour les produits suspectés d’être cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR), de protéger davantage les travailleurs des parcelles voisines et d’améliorer l’information des riverains. Par ailleurs le Conseil constitutionnel a contesté en mars 2021 la façon dont la consultation publique avait été organisée à propos des chartes. Nous avons raconté ici les suites que nous avions donné en Gironde de ces décisions.

Deux fois mis en cause, que fait le gouvernement ?

On aurait pu imaginer qu’après de telles mises en demeure, le gouvernement s’exécute et reprenne complètement sa copie afin de produire un arrêté réellement protecteur. C’était sans compter sur le lobbying incessant sur ce sujet de la FNSEA et de l’industrie des produits phytos qui semblent prendre les décisions en lieu et place des ministres de l’agriculture et de la transition écologique. Le gouvernement n’a pas produit de nouvel arrêté et s’est contenté de botter en touche en demandant à l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire) de réexaminer les conditions d’autorisations de mises sur le marché avant octobre 2022 (ce qu’elle n’a pas fait).

Doit-on en conclure que le gouvernement se contrefiche à la fois des associations requérantes, du Conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel et plus généralement de la santé publique de tous, riverains et agriculteurs compris ?

Colère des associations

Face à une telle désinvolture, les associations (Générations Futures, France Nature Environnement, UFC-Que Choisir, Alerte des médecins sur les pesticides…) qui avaient réussi à faire valoir leur argumentation sur la nécessité de protéger et d’informer les riverains, sur la nécessité d’augmenter les ZNT notamment pour les produits CMR2, ont déposé dès février 2022 une nouvelle requête.

La décision du Conseil d’Etat – la plus haute juridiction administrative en France – publié ce 22 décembre leur fait droit. Elle enjoint à l’Etat de prendre des mesures propres à permettre de fixer des distances de sécurité suffisantes pour les produits CMR dont l’autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique.
Compte-tenu de la « gravité des conséquences » du défaut d’exécution de la précédente décision « en termes de santé publique » et de « l’urgence particulière qui en découle », l’Etat est tenu de s’exécuter dans un délai de deux mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Contrat d’engagement républicain

La plus haute juridiction administrative exige de l’Etat qu’il prenne les mesures qui s’imposent face à la gravité de la situation en terme de santé publique. On peut difficilement être plus clair !

Dans le même temps les études se multiplient qui montrent les dangers réels de ces produits. Ainsi en est-il de l’étude GEOCAP AGRI dont les résultats complets auraient du être publiés à l’automne et qui a été présentée en juin dernier par Santé publique France et l’INSERM. On sait qu’elle démontre un lien fort entre viticulture et risque de leucémie aigüe : dans un rayon d’un kilomètre autour de leur maison, plus il y a de vignes, plus le risque de leucémie aiguë chez l’enfant augmente. Or, les chartes dites de bon voisinage permettent maintenant de pulvériser à 3 m seulement des habitations au lieu de 10 m !

Hasard du calendrier, en cette fin décembre, on découvre que des associations environnementales sont menacées de perdre leur subvention par le préfet de Corrèze (lire ici) au titre de la loi contre le séparatisme qui a été votée en juillet 2021, officiellement pour “lutter contre l’islamisme radical”. Cette loi impose aux associations de signer un contrat d’engagement républicain (CER) et certains préfets semblent définir ce CER d’une façon particulièrement restrictive et attentatoire à la liberté d’expression.

Existe-t-il un lien, entre le fait que l’Etat ne respecte pas sa propre loi lorsqu’elle exige de lui des mesures indispensables en matière de santé et de protection de l’environnement et le fait qu’il organise la défiance vis à vis des associations environnementales soupçonnées de “radicalisme” ?

Nous laisserons le lecteur répondre.